Ne te retourne pas. Descends sans regarder, les douze fois huit marches, séparées de paliers insignifiants, qui sont là simplement pour casser la marche, pour casser le rythme, de l'échappée, de la dégringolade, dans lesquels, de nouveau, des lambeaux d'affiches se détachent pitoyablement des murs. Ne te détourne pas pour regarder. Rien. Ni les pages déchirés que le temps arrache, ni les visages interrogateurs ou indifférents, ne te laisse pas, pas une seule fois, arrêter dans ta course. Ne suspends pas le rythme de tes pas à un visage entraperçu, à une parole entendue. Il se peut qu'on te parle. Ne te détourne pas de ta course.
Les six fois deux fois huit marches (distributivité de la multiplication, qui permet, à volonté, d'ouvrir et de fermer puis de défaire les parenthèses) provoqueront dans ta colonne vertébrale quatre vingt seize vibrations, réponse donnée quatre vingt seize fois aux fois où ton pas se posera, et où le poids de ton corps se déplacera d'un côté puis de l'autre de ton ossature (la marche est une chute constamment arrêtée, maîtrisée, qu'en est-il de la dégringolade dans des escaliers de béton ? je ne suis pas certaine qu'elle soit aussi maîtrisée), et la vibration de ce choc (celui occasionné par la rencontre avec la surface lisse de ce monde) se propagera quatre vingt seize fois dans tes ossements, remontera quatre vingt seize fois le long de ton échine, jusque dans l'ossature plus fine de ta nuque, et tant que tu n'auras pas entrechoqué le monde, quatre vint seize fois, tu ne respireras pas l'air cinglant du dehors, ni les frémissements des pins.
Dès que tu es sorti de l'incantation calme de la pensée, il n'y a rien d'autre à faire que de fuir. Ne te détourne pas, même si une voix t'appelle. Ne te détourne pas, même si tu entends ton nom appelé, sourdement, à ton passage, même si les syllabes s'en détachent dans le brouhaha de ce monde, dans les intervalles laissés par ces quatre vingt seize martèlements de ton refus de ce monde et de ta volonté conjointe d'un ailleurs, tendue vers un ailleurs. Que l'appel soit sourd ou sonore, ignore-le, je t'en conjure. Dévale les quatre vingt seize marches, éloigne-toi, autant qu'il est possible, ne laisse pas ton regard sur les affiches, il n'y a rien pour toi, ici, rien, que la poussière qui dessèche les yeux, et l'oubli n'est même pas possible.
Il est impossible que ce soit autre chose que les grondements des Enfers.
lundi 28 février 2011
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