Ne te retourne pas. Descends. Sans regarder derrière toi. Au théâtre, un comédien doit descendre les escaliers sans regarder ses pas, il vaut mieux qu'il s'effondre, plutôt que de regarder ses propres pas, et de baisser la tête sous son destin, courbure du temps et du corps, qu'il refuse. Qu'il se redresse. Quelque chose comme un roseau qui reprend sa position rectiligne dans le vent, après une courbure trop prononcé. Toi, il suffit que tu ne retournes pas, cela seul importe. C'est plus simple. Ta démarche est plus simple. Tu peux sortir de cet espace rendu brumeux de craie et de pensée entremêlées, tu n'as qu'à remonter le couloir rectiligne, aux portes toutes fermées, aux affiches à demi arrachées, en suite de quoi, tu pourras descendre les escaliers, dévaler vers l'air frais du matin, rien ne te retiens plus.
Le pur déroulement des pensées se suspend, et c'est la course du monde qui reprend sous nos pas.
Le couloir rectiligne, qu'il suffit de remonter, est la dernière antichambre du monde, avant la grande dégringolade vers l'air libre de ces Enfers inversés. De ses parois indifférentes, des lambeaux de discours, affichés sur les murs, peu à peu se détachent, se défont, et pendent, recourbés, oubliés de tous dans le détachement le plus absolu. Il est possible qu'en passant, l'un d'entre nous, j'en conviens, dans son échappée, arrache, d'un mouvement d'épaule, en remettant son sac, un peu de ce qui fut objet de l'attention, et participe de ce délitement, autant qu'il est en son pouvoir. Ainsi se défont toutes les choses de ce monde.
Le flot que nous sommes, dans la vague qu'il roule et que nous formons, délite et se délite, d'un même mouvement.
Ne te retourne pas. Descends. C'est la seule chose à faire. Abrite-toi du tumulte désordonné de ce moment, dans tes pensées les plus lointaines, ne croise pas les regards, il doit être possible de regarder nulle part, pendant le temps que durera cette dégringolade, il est très possible que le regard se fixe au loin, déjà presque dehors, presque dans le monde, et toi, tu suis cette ligne tendue comme un fil entre ici et ailleurs.
Le fil déroulé se remonte en dévalant les escaliers et le monde se retrouve, six étages plus bas, dans une bouffée d'air vif.
dimanche 27 février 2011
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le jour se lève, à peine;le monde comme une peinture incrustée dans ma fenêtre se bouleverse; me bouleverse;l'infini de chaque chose finie que dévoile le jour me bouleverse;l'insomnie de cette nuit ajoute surement à cette impression;mais ne pas penser à cela, à la vacuité de ce concept, à la relativité et à l'absolu confondus de chaque impression;ne pas penser;bientôt il faudra peser, opposer, préciser, questionner,définir,écrire sa pensée;dans le refus du poids des autres, dans l'impassibilité parfaite, qui nous représente pourtant totalement à leurs yeux;il faudrait pouvoir disparaitre entièrement,momentanément; mais à cet instant précis, à l'heure où un chant nouveau éclot, si différent des lointaines rêveries de la nuit,étincelant d'une pureté tyranniquement sans faille, au diable cette pensée! vaporisons nous! regardons, ébahis, les glissements inouïs du monde!plus tard, bientôt, viendra le reste, les autres, et la fatigue du masque à porter sera lourde aujourd'hui; préparons nos forces;il faudra;on voudra;on affirmera;on objectera;on se convaincra;mais en bas,aux enfers, qui seront situés tout en haut, je verrai encore le monde et les frissons de ses changements;mais l'enfer n'est-il pas pourtant le lieu des supplices les plus infâmes? ou est-ce là le dernier?le plus lent, le plus terrible; le monde vu depuis les enfers... ah quel terrible sixième étage!
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