Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 23 février 2011

L'∞, 33

La craie crisse. J'étouffe. Elle ne dessine même pas quelque signe mystérieux sur la surface glauque, à proprement parler glauque du tableau. Seulement quelques numéros s'inscrivent, qu'ils noteront docilement. Les regards sur moi suspendus, à peine interrogatifs. La craie crisse. Encore une fois mon geste a échoué, et un peu de poussière se détache, qui aurait dû participer de l'inscription de quelque vérité (je ne la connais pas) sur la surface glauque de cette paroi verticale (on voudrait se pencher et disparaître sous les longs filaments d'algues, mais rien ne se passe, et elle demeure, verticalement désespérante, il n'est même pas possible de saisir, à sa surface, un reflet ondoyant).

Dehors, les cheminées invisibles d'une centrale nucléaire laissent monter avec nonchalance des panaches énormes de fumée blanche à la verticale du ciel.

Ma voix se déploie, en horizontale, contre toute attente, traverse l'espace, s'enroule autour d'eux, les tient. Je cherche un souffle et même si ne s'insinue, dans ma gorge, que de la poussière de craie, les choses vont leur cours de leur pas régulier. C'est égal, il faut passer. Ma voix se déploie, porte plus loin qu'il n'est possible, respecte le rythme de la pensée, et pour finir, cloue leur attention, et retombe sur leurs feuilles. Ils écrivent. Elle se condense dans l'air étouffant de la salle surchauffée (depuis combien de temps sont-ils, ainsi, enfermés, les uns avec les autres, depuis combien d'heures sont-ils ainsi penchés ?), ils ne protestent pas, laissent les phrases retomber sur eux, comme une averse, parfois hésitent, redressent la tête, et puis de nouveau, les mots prononcés retombent en pluie noire sur leur page.

L'encre coule comme une tâche de sang séchée.

Une chaise crisse. J'étouffe. Une porte claque. Le temps s'écoule comme s'il s'écroulait soudain. La craie trop longue se brise sous l'impulsion d'un mot. L'un d'entre eux se lève, sort, sans prévenir, d'un pas parfaitement silencieux et élastique, revient un peu plus tard, toujours silencieux et caoutchouteux, ma voix porte toujours, même si la poussière de craie colle aux mains et blanchit mon poignet. Dehors, peu à peu, la ligne que les collines dessinaient sur le ciel se fond dans le crépuscule, et les lumières s'allument. Entre deux phrases, je constate l'avancée de la nuit, le basculement d'un jour dans l'oubli précaire.

Je me demande comment, ici, il peut y avoir une grâce de l'∞. Mais la réitération n'y change rien. Dans la poussière de craie, du bout du pied, je trace tout en leur parlant le huit allongé, renversé, qui me sourit.

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