Grincement. Celui des escaliers mécaniques. Mécaniques rouillées dont on devine les souffrances arrachées aux liaisons atomiques, au plus intime de la matière. Redescendre dans les ouvertures cicatricielles de la ville, quoi qu'il en coûte (le train de 19h28 est au prix de cette précipitation). Traces de métal exactement parallèles dans le monde où nos pas nous portent à reculons. Remonter. Fuir cette idée est la seule possibilité supportable, mais avant de remonter, il faut descendre là où la lumière du jour ne pénètre pas.
Où est Ulysse dans ce dédale ?
Grincement. En remontant, je croise des théories d'êtres, toutes silhouettes qui se détachent sur le fond de la conscience, mais quel Orphée, quelle Eurydice ? Il est impossible de les identifier dans ces flots. Je ne sais pas quels ils sont. Ce monde plein d'ombres serait donc un monde très désert, nul Orphée, nulle Eurydice dans ces enfers contemporains, elle est, depuis bien longtemps, perdue dans les méandres de cheminements illisibles, à tout jamais, dans le monde des profondeurs étouffées, et lui, Orphée, encore une fois perdu, court vers son train de 19h28 sans espoir de la ramener.
Nous tous, Orphées qui nous sommes retournés, sans espoir, remontons à la surface de ce monde.
Grincement. Se représenter, dans toutes ces silhouettes, un Orphée qui a perdu à tout jamais tout espoir, une Eurydice après qu'il s'est retourné, incapable de se confier à ses pas à elle, pourtant dans la trace des siens, incapable de sentir que ses pensées à elle cheminaient avec les siennes, vers la surface. Grincement. Il pénètre cette fois dans les jointures les plus fines du crâne. Qu'advint-il d'Eurydice alors, ombre deux fois condamnée à n'être qu'ombre ? L'heure est si proche du départ du train que nulle ombre ne se retourne plus, chacune avance dans les grincements mécaniques de l'escalier.
Dans la foule, je ne retrouve plus la possibilité d'Ulysse. Elle a disparu parmi toutes ces silhouettes. Puissé-je ne pas me retourner.
lundi 14 février 2011
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