Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 5 février 2011

L'∞, 4


Qu'est-ce que cela peut bien être, les lointains bleutés d'un tableau de Brueghel ? On avance à l'∞, on s'éloigne ∞ment, et voilà qu'on est à l'horizon du tableau, dans les zones vagues, bleutées, grisées, d'un crépuscule pictural. Si le TGV lancé à pleine vitesse nous conduisait en effet jusque là, il n'y aurait  certes plus à regretter les quelques dizaines d'euros du billet. Les arbres s'estomperaient, les contours se mêleraient les uns aux autres, les ombres se déferaient dans le bleu brumeux, peut-être aussi nous déferions-nous vaguement, délitement des traces et des silhouettes, il reste un trait lumineux, rectiligne, mais seule la vitesse demeurerait. Le changement selon le lieu, une parmi toutes les sortes possibles et envisageables de changement, demeurerait seul, constante, tandis que le vague nous absorberait tous.

Délitement. Usure.

L'asymptote, selon sa courbe propre, se rapproche ∞ment de l'axe des abscisses, et jamais ne l'atteindra, continuera sans cesse de se rapprocher de l'axe des abscisses, sans jamais l'atteindre,  il n'y a pas de paradoxe, et la pensée ici reste parfaitement stable, aussi loin qu'on s'éloigne selon le lieu, aussi loin qu'on s'éloigne selon le temps, la courbe ne cessera de se rapprocher de l'axe imperturbable des abscisses, et jamais ne l'atteindra. Il n'est donc pas impossible, si on transpose dans le monde abstrait du voyage ce mouvement propre de l'asymptote, que le train se rapproche ∞ment de l'horizon, jusqu'à atteindre presque les zones bleutées, grisées, de l'improbable jonction entre le ciel et la terre, ces zones-là, qui entre toutes  sont oniriques et inespérées, et qu'il ne les atteigne jamais, asymptote désespérante d'un axe des abscisses toujours à portée de main, toujours plus à portée de main, et à jamais hors de notre saisie. Il s'en rapproche sans cesse, et, lancé à pleine vitesse, jamais il ne l'atteint.

Jamais nous ne sentirons sur nos visages la caresse de cet horizon bleuté.

Entre les parenthèses du voyage, suspension de notre monde. Le monde est là, effacé par la vitesse, effacé par le crépuscule, effacé par la brume. Derrière la vitre, il demeure possible qu'il soit là. Mais dans les parenthèses du voyage, parenthèse ouverte du départ, il y a la suspension du lieu et du temps. Quelque chose comme une suspension du lieu et du temps. Entre deux accès au monde fini, ponctué de nos repères spatio-temporels, il s'ouvre une suspension improbable entre deux parenthèses, et tant que seule la première (celle du départ) est ouverte, nous ne sommes nulle part, peut-être seulement en train de disparaître à l'horizon.

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