Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 28 février 2011

L'∞, 42

Ne te retourne pas pour regarder. Même si dans le brouhaha de la bousculade (tous, ils s'échappent, tous, en ordre dispersé, ils remonteront le couloir, pour descendre plus loin, là où l'air de nouveau est respirable, je crois que l'un ou l'autre a disparu derrière une des portes jaunes, sans fenêtre, ils frappent quelques coups, entrent et la porte sur eux se referment) tu entends à peu près distinctement les syllabes de ton nom se détacher sur ce fond sonore, impression imprécise, il est possible encore de ne pas se retourner. Il est possible que tout cela ne soit que le grondement sourd des pas dans les escaliers de béton, les pas de ceux qui sont plus avancés, qui ont pris les apparences sonores de ses syllabes auxquelles, en règle, générale, toi et toi seule réponds.

Ne te retourne pas, même si l'habitude de te détourner de tes pas s'est inscrite dans tes gestes, même si le schème semble intangible et inévitable (tu entends ces syllabes sur le fond sonore du monde, alors tu t'immobilises, et tu as pris l'habitude de soutenir le regard de qui, ainsi, te désigne dans le flot du monde) mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui … il s'agit bien de cela !

Il te suffit de te laisser entraîner par les flots du fleuve qui te ramèneront dehors, de ne pas te retenir, selon un réflexe crispé qui cette fois pourrait bien devenir fatal, aux berges de ce courant, tu n'as que cela à faire, te laisser porter par les flots glauques et boueux qu'il roule à intervalles fixes, il te suffirait de descendre et d'être porté par le fleuve, et de ne pas faire un seul mouvement pour te retenir, de ne pas écouter ceux qui épellent ton nom dans le désordre du monde, et qui voudraient te retenir.

Ne te détourne pas.

Et si tu crains encore de n'y parvenir pas, (on peut, à la vérité, envisager cette incertitude de soi, la force intangible des habitudes peut assurément faire douter même de la détermination la plus intense, et alors cette force suffirait à te faire, par inadvertance, croiser le regard de qui tu dois te défier), il faut alors, par un repli soudain de la conscience dans un recoin plus obscur et plus lointain encore, surimposer des strates artificielles de distance entre le monde et toi, surimposer autant qu'il est possible des épaisseurs d'indifférence entre le monde et toi, et te glisser à l'abri de la liste de lecture de ton iPod.

Sous cette condition ultime, il semble possible d'échapper à ces Enfers.

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