Lointains bleutés. Le nuage, et la brume, c'est tout un ; la brume monte de la mer le matin, sous l'effet de la chaleur du soleil, et on dirait que le jour est gris, même si ce n'est rien d'autre qu'une brume de chaleur. sur la mer. La brume pourrait bien n'être en retour qu'un nuage qui serait redescendu. Les deux phénomènes se mêlent, rêverie de voyageur, rien de plus, dans le soir qui tombe, bleuté. Les nuages n'ont pas de surface. Si, bien sûr, sous certaines conditions, ils en ont une, sous des conditions particulières, quand on prend sur eux un point de vue extérieur, point de vue de nulle part, vertige de celui qui regarde par le hublot de l'avion et aperçoit la mer de nuages, ils paraissent avoir une surface, mais de l'intérieur, de l'intérieur d'un nuage, ou de l'intérieur de la brume, cette impression disparaît et il devient clair alors que cet objet a une existence vague. Tous les objets matériels, selon le vieil Aristote, ont au moins deux surfaces, et le nuage, et la brume n'en a pas. On serait bien en peine de dire quand on y rentre, bien en peine de dire quand on en sort, à quel moment on traverse la surface, et pourtant des lambeaux de brume flottent dans les champs qui indiquent bien que nous y sommes. Objet sans surface, dans lequel on entre sans le savoir, dont on sort sans en avoir conscience, objet vague, imprécis, délité qui pourtant nous enveloppe, nous dont la conscience aiguisée par l'angoisse les fixe de ses pupilles noires.
Ces mots de Pascal : l'∞ est une sphère dont le centre est partout, et la circonférence, nulle part.
Objet étrange que le nuage. De l'∞, il n'a qu'une propriété, une seule, qui déstabilise tout le reste, et le laisse aux caprices du vent, sa circonférence n'est nulle part. Décidément, la pensée abstraite s'acharne sur lui, y fait un carnage. Le nuage disparaît de l'univers des philosophes. Se délite, se défait, être sans existence, sans forme, sans résistance, qui se laisse dévorer par la chaleur, aspirer par le vent, et dont on peut enlever toute particule sans qu'il cesse d'être un nuage, jusqu'à disparaître, ce qui montre bien, à leurs yeux, que les nuages n'existent pas, puisque rien ne change en eux quand ils cessent d'être… Délitement, le monde pourrait se défaire, comme un nuage. Asymptote vers la destruction, l'usure, qui malheureusement à un moment, trahira sa nature d'asymptote, rejoindra ce vers quoi elle tend. Et nous nous effacerons alors de la surface de ce monde.
Le jeu à travers l'espace se tend de tous ses possibles, saisit l'occasion des paradoxes et des retournements, être partout, n'être nulle part, ne sont donc pas, sous la seule variation négative, des expressions interchangeables qu'on pourrait substituer l'une à l'autre. Ce n'est pas une seule et même chose que d'être partout et de n'être nulle part. Pourtant, dans les méandres de ce voyage qui n'en finit plus, qui se répète et donc n'en finit plus, il est presque possible de ne se croire nulle part, de se sentir au loin, seulement au loin, dans l'horizon d'un tableau de Brueghel.
Attention, le "soir" ne tombe pas mais il monte (cf astronomie et V.Hugo).
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