Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 10 février 2011

L'∞, 13

Ce fut plus que cela, pour tout dire. Au sortir du métro, il y avait la possibilité d'Ulysse. On croise bien des ombres, des silhouettes, des souvenirs, des traces même, on en conviendra, alors pour quelle obscure raison ne pourrait-on aussi croiser la possibilité d'un homme, et ce soir là, en sortant du métro, aux premiers moments du crépuscule, c'est elle que j'ai croisée, elle, la possibilité d'Ulysse. Nos regards dans les miroirs soutiennent des reflets, et les regards des reflets, le jeu peut aller à l'∞, il suffit pour cela de deux miroirs en quinconce, et le monde entre ces deux surfaces se fait un écho ∞. Alors pourquoi ne pourrait-on croiser un possible ?

Il suffit de déjouer la linéarité du temps, et l'écrasement de l'actuel.

Sous ces deux conditions, la compagnie fut ainsi composée, au bord de l'eau (qu'on entendait à peine) : une femme regardait la mer, un sourire énigmatique aux lèvres, mains dans les poches, et j'ai échangé avec elle un regard, et derrière elle, à quelques pas, une autre vint se placer, un peu en retrait, dont le visage n'est pas apparu. Nous formions un triangle défait, quand apparut un musicien, du moins tenait-il à la main une guitare minuscule, qui semblait presque un jouet et à laquelle il manquait toutes les cordes. Il se contentait donc de psalmodier — aurait-il pu faire autrement ? — quelques paroles répétitives, face à la mer, et de marquer le rythme sur le ventre de l'instrument, sur lequel ses mains paraissaient disproportionnées.

Et puis, si l'on fait fi de la linéarité du temps et de l'écrasement de l'actuel, face à la mer, à présent d'un bleu grisé tel que le crépuscule clair en produit, sous ces deux conditions, pendant que nous regardions seulement le mouvement minuscule de l'eau, dans le bassin rectangulaire du port, étaient-ce les bateaux, l'air, l'étrange odeur de sel qui ouvrait des possibles ?, je ne saurais pas le dire, mais assurément la possibilité d'Ulysse entra en scène, se faufila dans le décor contemporain et urbain, circulation du jour finissant, klaxon, et les lumières électriques, que nos silhouettes traversaient, mais il était possible de voir ce qu'il voyait, exactement ce roulis, et de sentir la même odeur très légèrement âpre que celle qu'il respira pendant tout le temps que dura son retour des lointains.

Alors à cet endroit même d'où nous nous dirigions vers les profondeurs du métro, la présence d'Ulysse traversa des mondes.

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