Suspension … des phrases et du temps… c'est une seule et même chose… un point d'équilibre est atteint d'où on retombera bientôt, il n'est pas possible d'en douter, mais pour le moment un éloignement est possible dans les limites bleutées de la rêverie, qui ferait presque croire que le paysage est ∞, qui donnerait presque à penser que jamais il ne finira, que les limites jamais ne nous rattraperont. Extension des possibles, à quoi se heurte la négativité du terme qui sert à exprimer une positivité …
de sorte qu'il se passe ici une chose étrange : les concepts ou les idées, il est difficile de le dire, se désolidarisent du langage, ils ne se laissent plus saisir dans les termes qu'on leur a alloués, quelque chose claque dans l'air du soir, qui signe une discordance. Voilà qui instaure un étrange déséquilibre, tel celui de la marche, constamment rattrapée au bord de la chute, et de nouveau prête à tomber.
Spinoza, tout en polissant des lentilles dans son échoppe, s'en étonnait, refusait que l'∞, l'immortalité, l'illimité reçoivent, tous, les uns comme les autres, des déterminations négatives … car on remarque une même construction du terme, négation de l'idée, alors que l'idée dont il est question est positive, et que le fini se construit par restriction de l'∞, et non pas l'∞ par ajout de morceaux finis les uns aux autres, qui jamais ne donneraient l'∞, mais seulement l'indéfini, idée vague, autre, elle échappe, entre deux mondes, on ne la recherchera pas, elle existe dans un entre-deux où nous ne nous aventurerons pas. Notre temps fini sur terre n'est donc rien d'autre qu'une fraction d'immortalité prise entre deux limites, entre deux frontières, qu'on se gardera d'outrepasser. Mais l'∞ n'est pas une négation du fini. En revanche, quel que soit le déséquilibre qu'instaure cette idée, le fini est une négation de l'∞.
Un coin s'enfonce, entre le langage et la pensée qui ne coïncident plus l'un avec l'autre. Désaccord insoluble de nos idées et de leur expression. Même s'il y a bien des raisons de ne pas s'accorder avec Spinoza, l'interstice qu'il a rendu possible ouvre des perspectives. N'est-ce pas cela que nous cherchons, cela seul que nous cherchons contre le monde qui peu à peu, insensiblement, se referme sur nous, se resserre, au point qu'il nous faut, par la puissance de notre esprit, rouvrir les possibles et faire pénétrer un peu d'air dans le crépuscule des jours ?
Sans quoi, très rapidement, on étoufferait.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire