Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 24 février 2011

L'∞, 34

La craie crisse. J'étouffe. L'univers soudain se resserre étroitement sur cet unique signe inscrit sur la surface glauque du tableau. Le bâton de craie friable et minuscule perd un peu de substance, encore une fois, sur la surface verticale qui, elle-même, perd un peu de surface. Il est resté dans ma poche, ressort par moments, ma main le roule du bout des doigts pendant que je parle, sans qu'il me soit nécessaire d'y penser, et puis soudain, mécaniquement, parce que ma voix, à un moment du texte, prononce un nom propre, qui renvoie dans le monde à un seul individu, selon des processus complexes de référence (imagine-t-on la complexité du procédé qui renvoie, dans le langage, à un seul individu ?), alors mécanisme bien ancré, bien approprié, et de la ligne duquel il n'est pas question de déroger, mes pas me font traverser la pièce de part en part, dessinent, quoi qu'il arrive une ligne droite entre l'endroit de l'espace d'où je l'ai dit, et la surface glauque du tableau, ma main se saisit du morceau de craie, à force, devenu tiède, et elle trace quelques signes qui lui font de nouveau perdre un peu de matière.

La même opération, mécanique, se réitérera semblablement, chaque fois que ma voix prononcera un concept nouveau, ou une affirmation dont les ramifications se prêtent à cette opération.

À ce moment-là, je suis presque seule, le visage tournée contre le tableau. Je ne me souviens pas, enfant, des terreurs et des fiertés que j'ai éprouvées à ce moment-là, la pensée est lancée dans la vitesse de son déploiement et les souvenirs ne sont pas de mise,il est clair toutefois, que tous ces souvenirs sont là, entre moi et la surface glauque, et que je traverse, à chaque fois que je m'en approche une zone très complexe de turbulences passées. Je suis presque seule dans une zone très ancienne du monde. Ma main se lève, aussi haut qu'il lui est possible, pour éviter les autres signes déjà inscrits, reliés entre eux de flèches et de tracés multiples, cheminements possibles de l'esprit dans les idées, et les signes qu'elle trace alors répondent à l'attente muette ou indifférente de leurs yeux fixés sur ma main, de sorte que, pendant qu'elle les trace, durant le temps minuscule qu'il lui faut pour terminer d'inscrire The Plurality of Worlds, ou supervenience, pendant ce temps étroit, intervalle de silence dans la tension soutenue des paroles, je traverse seule cette zone de souvenirs, sans avoir seulement le temps de penser à eux.

Ou alors, ce n'est pas plus qu'une image, aussi fugace qu'il est possible (enfant seule contre le tableau noir et immmensément haut, qui cherche au bord du désespoir les enchaînements de lettres demandés, les unes avec les autres, qui répondraient à la demande insistante de l'adulte, et inscriraient ce mot qui ne se donne pas à ma mémoire, je cherche, les enchaînements ne promettent aucune dynamique de l'écriture, et je sens mes yeux se remplir de larmes, que j'essuie d'une main pleine de poussière de craie) contre la représentation de laquelle il n'est pas possible de lutter, elle passe au loin avant que le déroulement sec des idées ne reprenne son pas régulier.

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