Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 1 mars 2011

L'∞, 43

Grondement informe. Les uns dévalent l'escalier dans un brouhaha inconscient des chocs répétés contre le béton. À croire que cela ne les atteint pas dans l'amenuisement de leur conscience. Le flot torrentiel emporte toute chose dans son élan absurde vers l'air frais, que nous souillerons de nos souffles, et de nos cigarettes. Nuée. Je ne sais pas pourquoi toute grâce est perdue. Je me souviens, enfant, d'avoir eu la même impression, mais elle était gracieuse. Sur le béton gris, il demeure toute grâce perdue en ce monde, au milieu des mégots mal éteints, écrasés, et des chewing-gums décolorés par le temps. Dire que c'est tout ce qu'il restera de nous ici bas, ces traces, incorporées au béton, au bitume, de nos activités salivaires et pneumatiques.

Autrefois, nous sortions dans l'élan de la grâce, et la vie se déliait, et reprenait son cours, se défroissait, se déplissait. De cela il n'est plus question.

Nous sommes assurément enfermés, qui en douterait ?, retenus, dans quelque lieu que je ne parviens pas à identifier avec précision, et sur lequel il semble que personne ici bas ne s'interroge, préférant à toute certitude la possibilité de se concentrer sur la mastication obstinée d'un éventuel chewing-gum ou la consomption incandescente d'un mégot, jusqu'à la brûlure dans un dernier souffle, exhalaison parfumée de notre désespoir. Ce pourrait être les Enfers antiques, où nous avons croisé Ulysse, mais seulement comme possible, ce ne fut rien de plus, je ne parviens pas à aucune certitude, Enfers antiques ou Limbes plus tardives dans lesquelles les mouvements de la conscience sont moins assurés, plus hésitants. Et nous y sommes tous assemblés, sans qu'aucun point commun ne nous relie, univers disparate que sa variation pousse jusqu'au point le plus absolu de la solitude.

Il me semble que de cela, l'idée me fut donnée, au dessus d'un bol de soupe fumant et transparent, très loin, dans une ville japonaise que la pluie lavait torrentiellement, et que des sirènes annonçant une tempête traversaient en tous sens (seulement je n'en savais rien). Je pensais à ces Limbes, sans souffrance et sans unité, en baissant la tête vers mon bol de soupe. Il y nageait une algue luisante et verte, ruban replié sur lui-même en circonvolutions compliquées, que mes baguettes cherchaient à saisir et à déplier, et à propos de quoi elles ne manifestaient aucune certitude.

Enfin nous parvenons au bas des escaliers, où notre troupe inexacte se défait d'un seul coup, se sépare dans la nuit, je ne pensais pas que la journée ainsi était passée, nous descendions dans la lumière du matin, et ce sont les ténèbres de la nuit qui nous happent au bas de la tour, qui nous englobent et dans lesquels nous nous risquons de disparaître.

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