Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 8 avril 2011

L'∞, 100

Un rêve puis l'autre, ils défilent sous mes paupières. On pourrait égrener la longue litanie de toutes les villes dans lesquelles je suis allée, de toutes les maisons dans lesquelles j'ai dormi, de toutes les personnes avec qui j'ai déjeuné, dîné, de tous les correspondants que j'ai eus dans le monde, de toutes les conférences que j'ai écoutées, de toutes les expositions que j'ai visitées, de tous les concerts, de toutes les pièces de théâtre, … , et on obtiendrait … on obtiendrait quoi ? au juste, quel imparfait, quel incomplet kaléidoscope de moi ?

Évidemment, ici, il ne s'agit pas de moi. N'importe qui, n'importe quel anonyme fera l'affaire. Se pliera aussi bien que moi à ce jeu, à cette décomposition, recomposition. Et son image comme la mienne apparaîtra dans cette mosaïque. Le visage peu à peu se surimpose. Je regarde les carrés de couleurs de la mosaïque et un visage survient sur eux, que rien ni personne ne laissait deviner.

N'importe qui, dans la foule, dans le TGV, n'importe, cela n'a pas d'importance, où qu'il se trouve, il ou elle, cela ne compte pas le moins du monde, nous sommes à un niveau d'abstraction trop élevé pour continuer de prendre en considération de telles différences aussi peu signifiantes, presque insignifiantes du point de vue que nous avons choisi, n'importe qui, en plein milieu de ce centre commercial, ou tiens, là, j'y pense, sur la Time Line, derrière son ordinateur, n'importe qui fera l'affaire, n'importe qui sera imparfaitement incomplètement identifié par la somme de toutes les villes dans lesquelles, par la somme de toutes les adresses où, de tous les films qu'il, de tous les journaux auxquels il a, par exemple, jeté un œil… et même si nous faisions la somme de toutes ces sommes possibles de ce qu'il a (bu, entendu, parcouru, lu, écouté, caressé, embrassé, espoirs et désespoirs compris) … nous n'obtiendrions que les tous premiers carrés de couleurs de cette mosaïque, que nul, pour le moment, n'a encore remontée, étincelante, des fonds transparents de la mer ulysséenne.

Mais nous serions bien incapables de deviner, sur elle, les traits de son visage.

Pourquoi alors, par quel sortilège inconnu et silencieux, me suffit-il de regarder la mer pour voir Ulysse, de me tourner vers le large pour sentir le souffle du vent qu'il ressentit lui aussi, pour le deviner dans les modifications du monde qui me traversent qui le traversent et pour entendre les intonations de sa voix quand il demanda à ses compagnons de l'attacher au mât, désireux qu'il était d'entendre les sirènes, de continuer cependant son chemin, toutefois d'entendre leurs voix ? Ulysse… Pourquoi certaines silhouettes se détachent-elles dans la foule ? Quel visage cherchons-nous sur la photo de groupe ? Quelle voix entendons-nous dans le brouhaha qui nous arrête, arrête notre souffle, retient notre vie aux bords tranchants de ses possibles, avec un tressaillement ?

Apnée. Équilibre (instable). Vertige. Oscillation hésitation aux bords extrêmes des possibles. Jeux inexacts et pensifs de nos doigts, avec des coquilles fragiles et vides. Et le souffle du vent.

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