Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 9 avril 2011

L'∞, 101

Une ombre passe sur moi. Interposition, entre le soleil et moi, d'une ombre opaque et lourde. Je pense à Diogène en ouvrant les yeux. Contre-jour violent. Plein soleil en éclipse pour moi seule.

— Qu'est-ce que tu attends ?
— Qui ? Moi ? Toi. Je t'attendais.
— Je t'attendais aussi, ça pouvait durer longtemps.

C'est à cause de mon vocabulaire. Je sais bien. Toutes les incompréhensions viennent de là. Toutes les approximations, toutes les imprécisions, le vague qu'il laisse sur le monde. Heureusement qu'il en laisse sinon nous étoufferions tous. Il faut du vague, comme un souffle à l'horizon lointain du monde. Ce doit être pour cette raison que je ne suis bien qu'auprès de la mer. Il faut que les possibles ne soient pas tous dessinés, refermés, tracés. La pointe sèche et dure d'un crayon ne résout pas tout si elle fait tout apparaître, et dépose sur les contours des objets et les traits du visage une fine couche de carbone.

Le problème vient de mon vocabulaire. Il n'est pas assez riche, je m'en aperçois bien. Il se révèle absolument impropre à fixer, à la surface du monde, le lieu de mes possibles. Le réseau qu'il étend sur le monde (maillage moyen, comme un filet), médiocrement resserré, un peu trop lâche, ne tient pas. Ne retient pas. Rien de comparable à la fascination qu'exerce sur mon esprit le recoupement terrifiant de l'abscisse et de l'ordonnée. L'axe des abscisses et celui des ordonnées, s'enfonçant ∞ment dans l'espace. Et saisissant tous les possibles. Sans aucune vibration possible de l'air autour d'eux.

Je vais essayer, c'est entendu. Je vais chercher le nom des vents et celui des courants marins. Je chercherai tout cela, et aussi à comprendre, par exemple, commençons par de petites tentatives, je chercherai à comprendre comment on traverse un fleuve en bateau. C'est un premier pas à la surface des possibles. Je n'ai jamais compris comment on passe le courant du fleuve, quand il se déploie, immense, à son embouchure, s'ouvre dans l'espace du monde, et se mêle déjà à la mer au point que la faune en est tout à la fois marine et fluviale, sensible à ces deux mondes possibles à la frontière desquels elle se tient résolument.

Si seulement je comprenais comment les vents et les courants se forment, comment ils se déploient, je m'en sortirais mieux, je saurais comment, dans la seule dynamique de la dérive, te rejoindre, comment te retrouver, même si je n'arrive pas à y croire. Je n'arrive pas à croire que les vents puissent se former sous l'effet de la rotation de la terre sur elle-même. Je n'ai aucune hypothèse sur la formation des courants. Des différentiels … ? J'ai cette idée en tête, et quelques autres aussi, toutes invraisemblables, je n'arrive pas à y croire, à me retenir à elles. Comment un mouvement aussi immense pourrait-il, parfois, finir en une caresse sur mon visage et emmêler mes cheveux ? Si vraiment c'est le cas, je suis donc bien une partie, aussi minuscule soit-elle, de cet univers.

— Et les courants marins … ?
— Oui.
— C'est comme les vents, ils ont des noms ?

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