Alors dériver au fil de l'eau, au fil du jour, ce doit être possible. Ce doit être là une possibilité envisagée. Je veux dire, là, au regard des embûches, des chausses-trappes, des obstacles, des hasards, et de tous ces dieux qui sont partis et qui ont laissé le monde presque vide, entièrement à reconstruire, entièrement à habiter. Il doit bien y avoir, quelque part, au fond de moi, au fond du jour, un mouvement, une dynamique, il y a bien une impulsion, un coup de talon, moi, ce que je cherche, c'est seulement une impulsion, que les jours ne soient pas déjà finis, que les possibles ne soient pas tous fermés, refermés, resserrés, que le courant me porte et je veux bien faire le reste.
— Mais à contre-courant on n'y arrivera pas.
— Non, ce n'est pas une bonne idée. À contre-courant, on n'y arrivera pas.
Parfois les réponses entre nous forment une ligne mélodique, elles se séparent et se retrouvent, et les miennes font écho aux siennes, et les siennes font écho aux miennes, comme, sans doute, le font nos pas, nos pas en parallèles entrecroisées, en parallèles emmêlées, lui à côté de moi, moi à côté de lui, et puis soudain, pour faire une photo de la mer en aplomb, je croise son chemin, j'entrecroise la ligne de ses pas de la ligne de mes pas, je fais une photo, il s'arrête ou il avance, pendant ce temps, puis je le rejoins et nous reprenons notre marche, en parallèle, vers la mer, en descendant la ville, les rues, les escaliers, nous choisissons tout ce qui nous rapproche le plus vite, et le plus précisément de la mer. Il n'est jamais bon de s'en éloigner trop longtemps.
Je veux bien ne pas savoir où je vais, je veux bien ne pas avoir d'Ithaque, ne pas savoir où je reviens, ne pas connaître le sens des vents, les courants, les marées, ne pas en savoir assez, n'en savoir jamais assez, j'ai juste besoin que le courant me porte, au fil de l'eau, au fil du jour, et je me faufilerai dedans. Je ne suis même pas sûre qu'Ulysse retourne à Ithaque, à proprement parler. Tout ce que je sais, c'est qu'il avance. Il va son pas sur le monde. Un pas puis l'autre. Et il est de la nature de ses pas de le porter à Ithaque. Alors pourquoi l'équation ne fonctionnerait-elle pas pour moi : il est de l'essence de mes pas de me ramener à x, alors mes pas, naturellement, essentiellement, me ramènent à x, que je ne connaisse pas x ne change pas fondamentalement la structure de ma phrase, la structure de mes possibles, quand on les compare à ceux d'Ulysse …
Évidemment, ça fait bizarre, j'en conviens, ça fait bizarre. Aller à x, est-ce n'aller nulle part ? Ne pas savoir où on va, est-ce n'aller nulle part ? Pourtant l'errance d'Ulysse est une errance, ni plus ni moins que la mienne, est-on plus perdu quand on ne sait pas où on va que quand on est ∞ment loin de chez soi, et dans l'espace et dans le temps, comme est Ulysse ? Pourquoi Ulysse me paraît-il alors moins perdu que moi ? Pourtant la structure des phrases est la même, la structure des possibles est la même, et nous marchons tous les deux, en parallèles entrecroisées.
— J'ai l'air plus perdu que toi simplement parce que je n'arrive pas, dans ma phrase, à instancier x alors que toi tu en as trouvé, pour toi seul, l'instanciation existentielle ? C'est ça ? c'est pour ça que toi tu sais où tu vas, que tu marches de ce pas assuré et que moi, je viens encore de trébucher ?
— Qu'est-ce que tu racontes ?
mardi 5 avril 2011
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