Stances de tes protestations. Je ne perçois plus vraiment ni Ulysse, ni Ithaque, mais après tout, Ithaque est en perdition et le désordre aussi tente, de toutes parts, de s'y infiltrer de la main des prétendants. Je ne perçois plus ses paroles, le nom même d'Ithaque disparaît de ma conscience, entre les stances de tes protestations, et le ressac continu, il me semble n'entendre plus que cela, le ressac, ton lamento, les vagues, s'écrasant sur le sable, mêlant à leurs plaintes les myriades de coquilles roulées en elles, relevées, écrasées sur le rivage, parfois le nom d'Ithaque fanchit encore la barrière de ma conscience, je sais qu'Ulysse continue de penser seulement à elle, seulement, mais tout cela s'efface, et disparaît et se dissipe dans le ressac et les vagues, et ton lamento triste à propos du sable.
Entre deux imprécations que tu lances dans l'immensité du lieu, je me perçois soudain dans le pays de l'entre-deux-mondes qu'il faudra traverser d'une seule traite sans se laisser surprendre là par la montée des eaux.
Tout en cherchant fébrilement un linge propre, au fond de mon sac de toile délavé par le soleil et les années, dans l'espoir de mettre un terme à ton lamento, qui se module dans la plainte complice du vent, et pendant que mes mains s'agitent au milieu du désordre de tout ce qui (serait), (pourrait être), (a été),(ne manquera assurément pas de se révéler) un jour absolument nécessaire, je prends garde, d'un coin de ma conscience, à la montée des eaux qui n'en finit pas, et à propos de laquelle, il va de soi, je n'ai aucune certitude. Eau transparente, en vagues trompeuses, non pas parallèles mais résolument perpendiculaires au rivage ; elles remontent la langue de sable de plus en plus étroite sur laquelle nous avons entassé nos affaires, et ouvrent un chenal pour elles seules. La marée s'engouffre alors dans la voie que la mer a creusée sur le sable et prend le rivage de côté, dans une perpendiculaire qui laisse augurer de toutes les trahisons possibles.
Le froid de l'eau saisit mes jambes nues. Le courant dans lequel je tente de biaiser est presque trop fort pour moi, mais cet entre-deux-mondes que tu as indiqué d'un geste précis exerce une attraction trop vive.
Alors j'atteinds une bande de sable parfaitement lisse entre les roulements de l'océan et ce flot improvisé qui remonte la plage, espace provisoire et incertain que bientôt les vagues recouvriront, que bientôt la mer se réappropriera, lissé par les eaux, parfaitement étal et incapable d'offrir la moindre résistance, la moindre certitude, strié parfois de minuscules vagues. Je me tiens là, entre le sable crissant de la page et la mer bruissante dont je ne peux plus détacher mes regards, pendant que, derrière moi, j'en ai conscience et Ulysse m'en a avertie, les eaux montent et bientôt je ne pourrais plus revenir sur mes pas.
Je me tiens là, entre deux mondes.
dimanche 17 avril 2011
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