Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 27 avril 2011

132.3

Souvent j'ai eu peur que les mots n'échouent. Je regardais les vagues se briser, éclater sur les rochers, je sentais le vent passer sur moi, m'englober, ne même pas se scinder autour de moi. Et j'avais peur que les mots n'échouent. On ne peut pas totalement écarter cette hypothèse. On ne peut pas entièrement être sûr. On ne peut rien savoir. Alors, au fond, ce n'était pas tout à fait insensé d'avoir peur que les mots échouent.

Ils auraient pu retomber de cette très haute spirale enroulée sur elle-même sur le vide dans son mouvement propre ils auraient pu tomber, et dans ce cas, le vent les aurait projetés contre la paroi, les aurait heurtés contre les parois, je crois qu'ils seraient devenus aussi tranchants que du verre. On ne peut pas entièrement écarter cette hypothèse mais il était impossible de faire autrement, et il a bien fallu prendre le risque de les lâcher à la verticale de ce que nous étions.

Je me souvenais de ces mots de Shakespeare, la reine à Hamlet, dans la très belle traduction d'Yves Bonnefoy, "comme autant de poignards tes mots entrent dans mes oreilles", entendue un soir d'été, très éloigné d'ici et de maintenant. La souffrance est atroce et aiguë et vive, bien plus vive que bien des vies, je pensais à cela, je ne pouvais pas m'empêcher de la sentir, je pensais bien qu'ici, affûtés par la violence du vent, ils allaient devenir tranchants comme du cristal cassé qu'une fête cérémonieuse et oubliée n'a pas su protéger. Et qu'il n'était pas impossible qu'ils se retournent contre nous, dans un souffle de vent.

Mais il n'y fallait pas penser. Je me tournai seulement vers Ulysse et lui assénai, avec la plus grande tranquilité possible, commme on joue son atout :

- On ne rentre pas. On part.
- On est déjà partis.
- Non mais, cette fois, on ne rentre pas. On part pour de bon.
- Tu pensais que j'allais où ? Que je rentrais ? Que je rentrais où ?
- À Ithaque ! Évidemment ?
- Tu crois cela ? Tu crois toujours cela ? Mon Ithaque s'est perdue ...
- Mais je te suivais !
- Tu avais tort : c'est moi qui te suis.
- Tu me suis ?
- Je te suis et je suis toi. La réciproque est vraie. Ce qui nous retient l'un à l'autre est parfaitement symétrique. Tu vois ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire