Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 19 avril 2011

L'∞, 122

Je me fie à lui. Il connaît le pays, c'est évident. Il suffit de suivre ses pas pour s'en convainre. Il n'y a qu'à suivre ses pas. Il le parcourt en toute certitude, c'est évident, il n'hésite nulle part, sur aucun monticule, on dirait qu'il connait toutes les stries, toutes les concrétions, de ce lieu, voilà une heure que nous marchons et pas une fois il n'a marqué la moindre hésitation, pas une seule fois. Alors même que tous les repères sont mouvants comme du sable et que rien ne demeure, jamais, on dirait que ce pays est celui d'Héraclite, et la mer, chaque fois qu'elle y passe, emporte tout, ce pays est celui d'Héraclite, il a forgé ses rêves et ses angoisses, et nous y sommes, dans le pays toujours fluctuant, et personne ne sait comment en ressortir, car nul jamais n'en est revenu.

Rien dans ce monde n'est constant que son inconstance.

J'ai beau aimer cette phrase, elle est la clef de notre angoisse. Il n'y a rien dans ce monde qui soit constant que son inonstance. Rien n'est constant que son inconstance. Je le suis et pendant que je tente de mettre mes pas dans les siens, le vent de ce monde les efface, elles s'estompent, je ne vois que cela, les traces d'Ulysse sur le monde s'estompant, traces sur le monde s'estompant, Ulysse s'efface, s'effaçant, sur la surface du monde qu'il parcourt, qu'il traverse, je tente de le suivre, mais Ulysse s'éloignant s'estompe, dans la lumière aveuglante. Je fais ce que je peux pour le suivre, mais Ulysse s'éloigne et s'estompe. Toute présence se finit en une absence éclatante. Toute présence aussi éclatante soit-elle se résorbe en une absence déchirante. Ulysse s'éloigne, je ne le retiens pas. Il est inutile de tenter quoi que ce soit, la seule constance est celle de l'inconstance.

Le vent, pour moi, est trop violent. Je ne lui résiste plus.

Si Ulysse ne m'avait pas retenue, je crois que je me serais écrasée contre le mur couvert de mousses, de coquilles, de coquillages, recouvert, entièrement, entièrement recouvert de mousses, de coquilles, vides ou pleines, je n'en sais rien, mais le sol était si glissant, couvert d'algues et de mousses, que mon visage allait s'écraser contre le mur, couvert entièrement jusqu'à hauteur d'hommes de coquilles, et de mousses et de coquillages, et de formes de vie indécises, imprécises, entre deux mondes, aériennes et aquatiques, végétales et animales, tout à la fois l'un et l'autre sans être évidemment ni l'un ni l'autre. Si Ulysse ne m'avait pas retenue, ma main n'y aurait pas suffi.

Je ne sais toujours pas comment il traverse ce monde, entre deux, sa silhouette se dessine avec une telle précision, je comprends seulement qu'il me faut très exactement reproduire son avancée, et ne pas douter, un instant, de la constance de ses ruses.

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