Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 18 avril 2011

L'∞, 120

Je ne bouge pas. La marée monte, je sais, et bientôt pourra être immense, je sais. Mais je ne bouge pas. Après toutes ces traversées, toutes ces correspondances, tous ces aller-retour aussi désespérés dans un sens que dans l'autre, aussi désespérants dans un sens que dans l'autre, je suis enfin parvenue, là, dans ce lieu géographique qui n'est indiqué sur nulle acte, dont les coordonnées,imprécises et fluctuantes, varient à chaque vague nouvelle qui vient se briser sur le rivage. Je ne bouge pas, de ce lieu indécis dans le pays de l'entre-deux-mondes. Un tremblement, un déchirement de l'espace, m'y voilà, pour aussi peu de temps qu'il est possible de le croire, alors, en attendant la fin, je ne bouge pas.

L'eau monte. Transparente et mousseuse. Froide encore des tempêtes de l'hiver passé. Je ne bouge pas. Une vague et puis une autre, parfois elles arrivent coup sur coup, sans que l'équilibre du corps ait le temps de complètement se refaire, l'ombre portée sur le sable lisse, je la vois, vacille, cherche un appui sur le monde, surface instable et changeante du monde recouvert d'eau, mousseuse et transparente, une vague et puis une autre, entourent les genoux, les cuisses et presque destabilisent, mais je ne bouge pas, l'eau monte, je ne bouge pas. Presque pas. Je préférerais tomber dans l'eau plutôt que de partir de là.

Ulysse appelle. Sa voix immense porte contre le vent. Évidemment me parvient. Mais je ne bouge pas. Il dit de revenir du pays de l'entre-deux-mondes, que je ne le sais pas, mais que la traversée est dangereuse, sa voix me parvient contre le vent lui-même qui souffle de la mer, on les dirait en lutte l'un contre l'autre, sa voix me parvient contre la marée montante, en dépit du basculement et du déroulement des vagues, je l'entends, il dit de revenir, l'eau monte, Ulysse appelle, une vague et puis une autre, le sol est lisse et mousseux, une vague et puis une autre, tout en haut de mes jambes, Ulysse, les vagues, le vent, le crépitement de l'écume à mes chevilles, je ne vois plus rien que le déroulement des vagues qui viennent s'enrouler autour de mes jambes

Surtout je ne me retourne pas, je ne regarde pas la frontière terrestre de ce pays éphémère et mouvant de l'entre-deux-mondes, je me concentre exclusivement sur sa dissolution et sa perte dans une frontière liquide, bordée seulement d'écume, bordée d'écume pure, mousseuse et argentique, je me concentre sur l'écume mouvante, aquatique et aérienne, à la frontière de deux éléments, une vague et puis une autre, écume, le sol est lisse et mousseux, tout à la fois l'un et l'autre, même si ce n'est pas possible.

Une vague et puis une autre. La mer monte. Je ne bouge pas. Ulysse appelle. J'entends et je n'entends pas. Ma fascination me porte aux seules vagues. La mer monte. Écume. Une vague et puis une autre. Toujours plus hautes autour de moi. J'attends de passer sous l'eau, de glisser sous elle et de regarder le ciel bleu à travers l'écume transparente et mousseuse, j'attends cela qui est proche, presque possible, renversement de perspetives, et l'écume mousseuse tout au dessus de moi, cela, qui serait advenu si Ulysse, d'une main ferme, ne m'avait saisie par
le bras et ramenée sur le sable sec.

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