Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 3 mars 2011

L'∞, 46

Sols. Je crois que depuis le matin, lorsque notre regard n'était pas au loin, dans le Monde des Idées,

(cela ne compte, c'est une pure abstraction, nous ne regardons nulle part alors, et la ligne qui relie au monde les centres noirs et infixes de nos yeux qui ne regardent pas ce qu'ils regardent, mais rebondissent, simplement, en direction de quelque abstraction splendide, et transparente, transparente au point de cacher aux yeux mêmes qui les regardent les inscriptions obscènes sur les murs, sur les tables, les désespoirs latents de ceux, qui, penchés, écoutent et n'écoutent pas, écrivent et n'écrivent pas, retiennent et ne retiennent pas ce que les voix emportent dans ces espaces, jusqu'au point de faire disparaître la tâche de moisissure et d'humidité qui s'infiltre au fil des jours, entre les jointures mal assurées de la tour, un bloc a été rajouté, je suppose, qui sans doute, d'une manière ou d'une autre, se défait lentement et inexorablement),

il est resté la plupart du temps fixé sur le sol, dans une courbure tendue et sèche à l'extrême. À nos pieds, dans les traces grises, poisseuses, du dehors. Et j'en ignore la raison, sinon que ces espaces nous enferment, et nous rabattent vers le sol comme une bourrasque rabat la pluie, brusquement, et en gifle les espoirs. Sols artificiels. Le sol neutre est sans couleur, je me demande quelle matière est la sienne, pour être aussi invisible aux regards, aussi longtemps soient-ils fixés sur lui, matière née immondément de déchets industriels qui, à côté, après avoir lentement fait mourir tout un étang immense, empestent l'air ambiant, colorent les rêves de jaune (depuis des années et des années que je passe ici, je n'ai jamais pu en imprimer sur mes rétines la couleur indécise),

et quand il regardait ailleurs, cherchant avec désolation une texture autre possible, il ne trouvait aucune modulation du monde, seulement le béton gris et indifférent des escaliers, dont les angles menaçaient les chutes, et par endroits, le bitume rougeâtre et menaçant, recouvert de mégots de cigarettes que des mains désœuvrées avaient roulées elles-mêmes, qu'un souffle avait traversé, et qui se décomposaient à présent lentement dans des flaques d'eau, et parsemant ce désert, dessinant des constellations inédites et boiteuses, mondes inachevés, abandonnés par un créateur imprudent avant même de l'avoir pleinement conçu, esquisse sans envergure d'une rêverie effilochée, défaite,

les taches rondes et vagues des chewing-gums, recrachés et écrasés qui maculaient sa rétine.

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