Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 8 mars 2011

L'∞, 54

Contournement (stratégie du). Ne fonctionne pas. Ne permettra pas de passer dans la nuit noire par ce chemin défoncé, ni de traverser ce tunnel : des affiches se détachent, désolantes. Elles ont assurément quelque chose de lépreux. Lambeaux qui se défont, et que le mistral arrache par petits bouts. Mais si le monde est métaphorique, alors nous n'en sortirons pas. Les mares boueuses empêcheront à tout jamais les avancées, les pas se saccaderont, les saccades se marqueront dans la boue, s'effaceront, à peine imprimées sur le sol… ça ne passera pas, décidément, ça ne passera, je ne vois pas comment ça pourrait passer… le chemin est trop étroit et trop sombre, la masse du bâtiment est opaque et géométrique, impénétrable.

Décidément, le monde est métaphorique de la nuit de mon âme.

Si le monde est métaphorique, nous n'en sortirons. Nous n'en finirons jamais de le relire, et les échos nous traverseront, nous n'en finirons jamais, palimpseste, de remonter et de descendre le long de ce chemin, boustrophédon, de suivre les cheminements et les contre-cheminements qu'un architecte absurde imposa chaque jour à nos pas. S'il est à l'image de la nuit intérieure et du désespoir calme qui nous habite, nous n'en sortirons jamais et nos âmes continueront d'y errer. Je constate en passant qu'un jardinier municipal a coupé, (depuis des années qu'il poussait, en bordure de rien, dans un coin oublié du monde)les branches duveteuses d'un figuier qui faisait offrande de son parfum quand le jour devenait chaud, encensoir solitaire.

Décidément, le monde est métaphorique de la nuit de mon âme.

Les accidents du sol obligent, par un réflexe absurde, à marcher en tenant vers lui la tête courbée. Cela ne sert à rien, très évidemment cela ne sert à rien, la nuit empêche de voir quoi que ce soit, et cette courbure que nous nous imposons n'est qu'une marque de plus de la force exercée. Marcher la tête courbée n'aide en rien, ne garantit de rien, ne protège de rien dans ce cheminement. L'odeur du figuier de toutes façons, il faut bien s'y résoudre, ne monterait pas dans cette nuit glaçante. Et les peurs que nous nous imposons, nues et dépouillées, sont bien plus coupantes que tout ce qui nous entoure, un bâtiment vide, une voie ferrée déserte, et un figuier absent.

Notre peur est une lame très fine et très affûtée qui a choisi de lacérer le monde.

Il faut admettre qu'il y a des années de cela que nous l'affûtons, que nous ne cessons de la renouveler, de l'affiner, de la ciseler, et à présent, elle est parvenue à ce point, très coupante, et elle lacère finement, et le monde et notre âme, et personne, dans cette nuit, ne nous fera entendre la moindre parole. Je ne savais pas qu'il existât une solitude telle que celle que nous traversons, quand il manque au monde la possibilité de l'odeur d'un figuier.

Le monde se dépeuple, métaphoriquement, de notre nuit intérieure.

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