Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 31 mars 2011

L'∞, 88

— Quelle impression ça fait, d'être pétrifiée ?
— Tu sais, moi, ce n'était ni par un dieu, ni par la Méduse, alors je ne peux pas te dire, exactement.

Je ne sais s'il est possible de comparer très finement les traversées que toi et moi faisons dans ce monde, ni s'il est vraiment pertinent de dresser des analogies très exactes entre ton monde, et le mien. À ce jeu-là, rien ne dit qu'on ne finira pas par tout tordre et transformer, et nous n'y reconnaîtrons plus rien. Tes dieux sont partis, à un moment, ils se sont tous retirés, et le monde est devenu vide et plat. Tel que je le connais. Je ne sais pas où ils sont allés, tous, mais le lieu doit te paraître immensément désert.

C'est arrivé dans une ville immense et inconnue. Je venais d'y arriver. Je ne comprenais rien, encore, à sa texture, aux chemins qu'il me fallait emprunter, à ceux qui n'apportaient rien de bon, je commençais seulement à comprendre quelques mots, et je devais, la plupart du temps, ne compter que sur moi. J'avais confiance dans la langue, je prenais des leçons, intensivement, et comme je n'avais encore rien à faire, cela occupait toutes mes journées, pratiquement, de sorte que je passais beaucoup de temps dans un appartement immense et presque désert, où traînaient ça et là quelques meubles laissés par les propriétaires. J'étais encore un peu hors de l'espace. Je commençais à me repérer, à construire des repères et peu à peu les lieux s'imprimaient dans ma mémoire. Mais ce mouvement n'en était qu'à son commencement, et je n'avais qu'une esquisse de la ville entre les mains.

Et une après-midi, après une leçon, comme la lumière était particulièrement douce et transparente, et que je n'étais pas sortie de la journée, j'ai décidé d'aller faire un tour. J'ai pris trois fois rien, mon passeport, un peu d'argent, et je suis sortie. J'ai remonté l'unique rue que je commençais à aimer, je ne saurais pas dire pourquoi, entre les façades lépreuses, défraîchies d'un siècle révolu, elle traçait en serpentant un chemin de terre battue, et habituellement était pleine d'animaux vendus là, une vieille femme avec ses poules, un homme avec une charrette tirée par un âne, et des enfants qui couraient partout, des canards dans des cages.

Ce jour-là, elle était étonnamment silencieuse, mais j'étais bien trop occupée à lire une lettre pleine de nouvelles de chez moi, je voyais la scène sur les pourtours de mon champ de vision, le centre de mon esprit était entièrement occupé par l'écriture bleue dont je connaissais bien la main, et que je déchiffrais au soleil, et puis qu'aurais-je pu faire de cette remarque même si elle était parvenue à s'ancrer plus profondément dans mon esprit ? La rue débouchait sur une étrange station de RER tout à fait parisienne. Je montai l'escalier extérieur, en vérifiant la monnaie dans la poche, et à ce moment précisément, dans le silence, un grondement s'est fait entendre, qu'on aurait dit sorti des profondeurs des Enfers. On n'aurait pas eu tort. J'ai tout de suite pensé que quelque chose de terrible aller se passer, et au lieu de … fuir, agir, me préparer à l'affronter … au milieu des gens qui couraient et redescendaient en criant … des objets qui tombaient, je suis restée immobile.

— Je regardais la scène dont les moindres détails me fascinaient, je n'en ai rien perdu, je suis seulement restée là, immobile, absente à moi-même, au milieu du chaos.

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