Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 30 mars 2011

L'∞, 87

— On ne parlera pas de Polyphème.
— Je n'ai pas envie d'en parler.

Il n'y a que cela, dans notre siècle, alors je n'ai pas envie que nous en parlions non plus. Quand j'ai lu ce chant de ton Odyssée, je n'ai rien pu faire d'autre que ressentir, immobile, le commencement de ce qui dut bien être quelque chose comme une pétrification. Je sais ce que l'on ressent, à présent, quand Méduse vous pétrifie : le cerveau fonctionne, en accéléré, même, de plus en plus vite, il calcule tout, il évalue les conséquences, les possibles, il prévoit de plus en plus vite tout ce qu'il est possible de prévoir. Et pendant ce temps, exactement simultanément (c'est cette simultanéité et elle seule qui signe la pétrification), le corps ne tressaille même pas. Je ne bouge pas. Plus du tout. Un statue fend autour d'elle l'air avec plus d'assurance. La terreur fait n'être qu'un commencement de statue, émergente peu à peu de la matière, prête à y retourner. Esclaves, se levant peu à peu, puis arrêtés dans le mouvement. Incapables de plus. De mieux.

Je n'ai pu que me réfugier dans mes phrases. Rien d'autre à faire. En l'occurrence, que pouvaient-elles ? Là, dans la caverne, je ne peux pas mettre de phrases. Du moins pas les miennes. Elles ne sonnent pas, dans ce silence. Il est plein et il étouffe. Je n'ai pas envie d'y descendre avec toi. Mais peut-être, au fond, ne cesse-t-on d'y descendre ?

— Peut-être…

Peut-être toute angoisse est-elle de cet ordre ? De l'ordre de celle qu'on peut imaginer avoir été tienne alors, à ces moments, peut-être peut-on retenir l'hypothèse que toute angoisse est une fraction
un fragment
une émanation
de l'angoisse tienne. Que toute angoisse est cette attente dans les ténèbres de la caverne de Polyphème le Cyclope. Peut-être, je n'en sais rien, je me demande, sommes-nous tous avec toi, dans sa caverne, attendant, implorant que ta ruse nous sauve ? que tu nous offres une échappatoire ?

— À quoi bon en parler ? Il y a le vent, le vent qui se lève, qui gonflerait les voiles, ce n'est pas là que tes phrases doivent se porter. Ce lieu n'est pas pour elles. Elles n'ont pas à seulement le frôler, ce gouffre duquel j'ai dû revenir.
— Les ruses ne sont-elles que des échappatoires ?
— Non ! (Cela lui est venu presque dans un cri) N'en doute jamais. Ce n'est pas cela.

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