Un pas (puis l'autre). Au bord de l'eau, sur le rebord du port. Griffures. Étranges. Je ne sais pas d'où elles viennent, ces griffures profondes dans la pierre du port. Si tu me demandais mon avis, je dirais que la seule hypothèse rationnelle est les coups de griffes immenses de quelque être marin démesuré. Mais tu ne demandes rien, et nous marchons silencieusement. À la frontière de la ville et de la mer. Un pas puis l'autre. En parallèle de la mer et de la ville inconnue. La mer, tout aussi inconnue. En parallèle, un pas puis l'autre. Les rayons du soleil brûleraient aisément les pupilles noirs si elles ne fixaient obstinément la direction où nous portent nos pas.
Il n'y a rien qui soit connu que le chemin que nous traçons.
Je ne sais pas combien de temps durera cette impression. Je ne sais pas d'où elle vient, où elle nous conduit, je ne sens rien d'autre que cela, et maintenant que j'ai commencé à parler, il n'y aura plus rien d'autre qu'elle dans mes paroles, dans mes phrases, il n'y aura que cela, cette impression de tendre vers un lieu naturel inconnu encore, mais mon lieu, le seul, jamais vu encore, mais à l'évidence il se donnera comme à toi Ithaque se donne.
Toutes les phrases tentent de dire ce qui n'est que le silence de l'être.
Toutes les phrases, tout ce qui tente de faire sens, aussi maladroitement, imprécisément qu'elles le peuvent, toutes, elles se tendent et se déploient dans les méandres de la pensée, à travers les propositions ; tous les efforts de la syntaxe tendent vers une noyau intense de silence. Toutes, elles le polissent. Comme les flots exactement polissent un galet, jusqu'à tenter de le réduire, jusqu'à tenter d'en effacer les angles, de le lisser au monde et aux aspérités du monde.
Roulement. J'irai rouler mes pensées dans des lieux que tu ne connais pas, Ulysse. Je n'ai que faire des miroirs et des portraits qu'ils me tendent, ils ne font que redire ce qu'ils savent, c'est pure répétition, tu comprends, Ulysse, il y a des phrases dans lesquelles le silence est poli et usé comme une pierre, qui devient sable, qui tend à devenir sable, qui peu à peu se délite dans le sable de la pensée.
Un pas puis l'autre. Le soleil dans les yeux m'est indifférent. Même si les Stoïciens disaient qu'il ne se peut pas plus regarder en face que la mort. Un pas puis l'autre. Les mots des phrases vibrent autour d'un impossible silence. C'est ce silence, n'est-ce pas ?, qui s'entend lorsqu'un coquillage descend en spirales imprécises à travers l'épaisseur de l'eau.
mercredi 23 mars 2011
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