Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 17 mars 2011

L'∞, 65

Je sais que sur la mer ∞ tout cela n'aura plus aucune importance. Je verrai s'éloigner les lumières du port ; elles scintilleront comme des espoirs. Et puis il n'y aura plus loin que le bruit des vagues, le bruit des voiles, il n'y aura plus que cela, ces claquements que provoque, de toute sa puissance, le vent. C'est juste cela que je cherche. Comme quand on s'enfonce dans ses rêves et que l'on y marche de son pas enfin réconcilié.

Laisse moi m'enfoncer dans mes rêves. Laisse-moi être happée par eux. Ne me dérange pas. N'attrape pas ma main pour me tirer vers la lumière de la lampe. Ce n'est pas de cela dont j'ai envie maintenant. Toute cette lumière est insupportable. Ce n'est pas de cela que j'ai besoin. Rien ne m'y porte. Aucune vague ne porte vers elle. Elle arrive, aveuglante, et j'en ai mal aux yeux, de toute cette lumière arrachante à soi et à ses rêves, lumière arrachante à la nuit qui les absorbe, laisse-moi être aspirée dans la nuit. Aucun repère ne me retient à rien en plein jour. Il n'y a que l'aveuglement du jour, regarde ce pauvre Icare, ce qu'il est devenu, c'est pitié, c'est pitoyable…

La nuit reçoit nos respirations, et nos paupières closes ne revoient pas, encore et encore, Icare, chutant, tombant effroyable. Nos paupières closes nous séparent de la lumière qui inonde ce monde, celui-là, le monde où Icare s'est perdu en mer.

Laisse-moi m'endormir, nous avons tellement marché dans la ville, je ne pensais même pas que c'était possible, de marcher autant, d'embrouiller à ce point les pistes pour que les dieux en colère ne nous retrouvent pas, je m'en moque de la colère des dieux, mais je croyais que tu cherchais à me perdre, et en fait, c'est eux que tu perdais, ils ne m'ont jamais aidée, ni les dieux ni les hommes, je passerai, sans eux, sans personne, je suis toujours passée, partout où j'ai voulu, j'exagère un peu, peut-être, oui, je sais, je devine ton sourire dans la pénombre, ce n'est pas la peine, tu n'es pas obligé de le souligner ainsi de l'ironie de tes lèvres fines, que j'exagère un peu, après tout, encore cette fois, c'est toi qui les as perdus, et l'apollinien et le dionysien ne sont plus rien, je compte surtout sur moi.

Enfin, j'ai mon portable, tout de même, on ne sait jamais. J'ai besoin de savoir l'heure, de vérifier que nous nous sommes bien enfoncés dans la nuit. Assez loin. Assez loin de toute rive, de toute berge, je ne tiens pas à me retrouver seule sur le rivage, non que ça me pose problème, mais je trouverai ça vexant. J'ai besoin d'oublier que je suis moi, c'est pénible, à la fin, d'être constamment soi, je ne sais pas comment tu fais, toi, pour ne pas te perdre toi-même dans tes ruses.

C'est peut-être bien cela que tu essayais de faire, tout à l'heure, tu ne voulais peut-être pas me perdre, sur le moment je n'avais pas compris, ni perdre ce pauvre Hermès qui n'en pouvait plus lui non plus, de te suivre, je l'entendais jurer, tout seul, dans les rues, il était loin derrière moi mais j'entendais son souffle et ces jurons, maintenant j'ai compris, tu essayais peut-être tout simplement de te perdre toi-même. Tu as échoué, Ulysse, ta ruse n'était pas assez fine pour te perdre toi-même. Tu ne peux être pris dans les filets d'aucune ruse. Aucune ruse. Il n'y en a pas une, possible, qui soit suffisamment subtile pour te prendre. Pour cela, il faudrait une ruse impossible, tendu comme une corde, fine comme une toile d'araignée, il n'y en a pas, dans ce monde, tu ne risques rien, tu n'y parviendras jamais.

Je crois que je te parle, je ne sais plus, je me demande si je ne m'endors pas. Ne me réveille pas, pas maintenant que je rêve de toi, Ulysse…

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