Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 4 décembre 2010

Manuel anti-onirique, IX


C'est un léger moment de vertige. Elle ne devine pas comment il fait, lui, pour supporter tout à la fois, le silence, les ténèbres, l'attente, l'angoisse, le matin qui n'arrive pas, le vent du nord qui entre par tous les interstices des fenêtres mal ajustées… elle ne sait pas quels stratagèmes il utilise, quel moyen il a trouvé qui peut-être conviendrait mieux que tout ce qu'elle s'échine à mettre en œuvre. Il faut croire que nous restons toujours, à jamais, des étrangers les uns à l'égard des autres, rien que cela, des étrangers compatissants, attentifs, presque attentionnés, mais irrévocablement seuls.

 Si on essaie de se représenter les autres, tous les autres, ceux qu'on croise tous les jours, si souvent, ceux qu'on interroge, et même, ceux qu'on cherche sous la pluie, ceux qu'on attend, et dont on cherche à soutenir le regard, quand on tente de produire d'eux, dans nos esprits, c'est-à-dire juste là, entre nos pupilles et la scène immédiatement perceptible, un portrait, purement imaginaire, mais qu'on est prêt à retoucher jusqu'à ce qu'il soit aussi précis qu'une photographie, on se rend compte de la difficulté insurmontable. L'évocation, au delà d'un certain degré de précision, ne répond plus. La mise au point ne se fait pas. Quelque chose échappe. Tant que la focale est assez imprécise, que le grain est épais, alors oui, une évocation demeure possible. Si on exige un peu plus, par une étrange contrariété, les traits s'effacent d'eux-mêmes.

Elle ne sait presque rien de lui, au fond. Et lui, que sait-il d'elle ?

C'est un vrai vertige. Elle ne sait plus à quoi se retenir. Un jeu de décalage entre le nuit et la fenêtre, amorce une recomposition un peu de guingois ; une fenêtre éclairée dans l'hôtel qui fait face, la légère inexactitude d'une image, le reflet décalé de sa table amorcent de possibles lignes de force du monde. Elle se sent encore enveloppée de la froidure de la nuit ; le givre sous son regard surligne les horizontales des toits. La première ligne ondulée des tuiles, qu'elle suit. Elle ne sait pas comment faire. Si nous n'étions pas tous indiciblement seuls, ce serait sans doute le genre de questions que nous nous poserions, en ajustant nos pupilles noires :  comment traverses-tu la nuit ?

Tant qu'il n'est pas possible de poser cette question, elle préfère rentrer dans une chambre immense où elle a laissé une lampe brûler en son absence, laisser glisser son manteau sur le sol, et  regarder la fumée de sa cigarette effleurer les miroirs. Elle écoutera les pas des rares passants dans la rue. Martèlements. Et leurs éclats de rires.

Cela pourrait la retenir un peu aux bords (escarpés) du vertige.



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