Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 6 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XII


L'existence des autres est si opaque et si lointaine. Tout à la fois opaque et lointaine. Tant et si bien que les gestes pour se rapprocher d'eux se perdent dans des distances opaques. Un mail part, sur internet, traverse des méandres informatiques, aligne des lignes de chiffres si complexe que la mémoire humaine ne la retiendrait pas, même à titre d'incantation, et par la grâce de la bonne combinaison, arrive à destination sur l'écran d'un autre ordinateur, attend d'être ouvert, se perd pour finir dans des souvenirs imprécis, des intentions de réponse jamais suivies d'effet, et rien ne se passe. On envoie un message dans la mémoire d'un autre, qui l'enregistre, et rien ne se passe, la ligne qui annonce l'envoi et porte les espoirs redescend dans la liste de tous les autres messages, puis s'efface lentement.

Il marche au-dessus de sa tête, et des bribes de mots, des bribes d'intonations lui parviennent à travers l'épaisseur des murs du bâtiment.

Il est impossible d'entendre ce qu'il dit et d'ailleurs elle n'y tient pas. Chacun sa solitude. Des échos lui parviennent, fragments d'une conversation entre deux inconnus. Fil de l'absence, dont la pelote se dévide dans les engagements téléphoniques auprès des compagnies. Un abonnement illimité qu'on prend sur un numéro dont on souhaite qu'il s'affiche sur un écran, et comme il ne s'affiche pas, on s'offre la possibilité, pour tenter le sort, possibilité qu'on ne pourra bien évidemment jamais actualiser, d'un appel en illimité sur ce numéro-là, combinaison de chiffres qui ne s'affiche presque jamais. Les abonnements téléphoniques révèlent les secrets des âmes, ceux qu'on omet même de se dire à soi-même, sauf quand, dans la nuit, un homme au-dessus parle avec une femme, et masque mal son désarroi en marchant de long en large dans la chambre immense d'un hôtel du début du XVIII ème, décor de théâtre, ou de cinéma.

La hauteur de plafond dans ces bâtisses est telle que les pensées devraient pouvoir se déployer et s'éloigner du crâne qu'elles obsèdent, mais cela ne change rien à la solitude. On laisse sur des portables des messages dans lesquels la voix hésite, tremble légèrement, et tous ces mouvements intimes de l'âme se masquent aisément d'un mouvement conventionnel. Tout cela se recouvre, se contourne si aisément qu'on en vient à éviter sa propre présence, et qu'on oublie sa voix propre, comme les autres se détournent de la leur. On attend d'être rappelé, tout en sachant qu'on ne le sera pas. Et si d'aventure on l'est, alors les déceptions sont de pire en pire, accumulation de décalage, de glissements de sens, et rien de stable ne se dessine. Ce doit être une ancienne fascination pour les sables mouvants.

Comment, alors, pourrait-il y se produire dans ce monde une coïncidence des êtres ?

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