Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 4 décembre 2010

Manuel anti-onirique, VIII



 La nuit va son chemin. 

Ce ne sont plus nos ombres qui avancent, c'est l'ombre elle-même qui remporte une victoire provisoire. Les lumières, une à une, s'éteignent, les façades hautaines se referment sur leur silence, les volets de bois sont clos lourdement contre la possibilité du vent, et les lampadaires dessinent d'étranges halos approximatifs. Pour aller de l'un à l'autre, il faut traverser des espaces opaques et pleins. La nuit est aussi pleine que les jours sont vides, désespérément, démesurément, dans la course absurde, et toute la course absurde n'est rien d'autre que divertissement triste. La ville nocturne défile sous les pas des promeneurs épuisés, éreintés, et le sommeil les fuit, il est clair que leurs ombres sont de plus en plus hésitantes, que la courbure de leur marche est de plus en plus souple, que peu à peu elle se défait, et le temps passe, les heures se perdent dans la fatigue, les réponses se dispersent dans l'obscurité.

Il est impossible de savoir à quel point de la nuit les choses se défont dans le déroulement des mouvements.

Tout se défait. Ils fument interminablement une cigarette devant la porte de l'hôtel. Puisse-t-elle durer toujours. Le gardien de nuit a repoussée  les deux battants depuis bien longtemps et elle vérifie la présence hérissée de sa clef au fond de sa poche, du bout des doigts caresse les dentelures métalliques, inquiète de la possibilité de la chaleur, du sommeil, au moins d'une insomnie au calme. Ils fument l'un et l'autre, devant la porte et déjà chacun est dans sa nuit solitaire. Un obstacle à franchir, il fait tomber la clef, elle s'efface contre le mur, il la ramasse, ouvre la porte et ils se sépareront, chacun ira dans sa solitude immense, la traversera, encore une fois, encore une autre, toujours une autre, et se retrouvera, au matin, sur les berges d'un autre divertissement triste.

Elle pense à ce livre qu'elle n'a jamais lu tant son titre était beau. 

Elle s'était arrêtée à la couverture et chaque fois qu'elle voulait le lire, le titre éveillait en elle tant de rêveries discordantes, dissonantes, qu'elle ne l'avait jamais lu, qu'elle évite même encore de le prononcer, qu'elle le garde comme un part intacte d'elle-même qu'il est possible, encore, de retrouver. Parfois elle roule en elle cette ancienne concrétion onirique. Et à cette heure fragile, au moment où chacun retourne à lui-même, où leurs pas les éloignent l'un de l'autre, juste à ce moment-là, où pour la première fois depuis des heures immémoriales leurs pas ne sont plus parallèles, chacun s'en retourne à sa nuit, elle se redit ces trois seuls mots dans lesquels se glisse si bien ce moment.

Il leur faut alors consentir au vide.

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