Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 8 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XVI



Ce sont les autres, tous les autres, qui lui paraissent des mystères incommensurables.

À peine un être ouvre-t-il les yeux qu'il porte en lui le mystère profond des impressions que le monde lui fera.  Et à partir de là, de cette seule opacité, le mouvement est lancé comme une réaction en chaîne, ses réactions deviennent si singulières, comme par une suite d'enchaînements, d'enchâssements que chacun suit son chemin et que les routes ne se croisent pas. L'opacité et le silence grandissent, dans le mystère et la nuit. C'est cette distance qu'elle ne parvient plus à traverser, et elle se sent soudain parfaitement seule. Comment savoir ce qu'il éprouve ? La question lui parvient dans un premier sommeil, et la ramène sur les berges de l'angoisse. Il n'est même pas possible de poser calmement la question, comme on pose une carafe d'eau sur la table. Tous. Tous ceux que l'on croise et que l'on regarde à peine peuvent emporter leurs impressions au loin...
 
Et encore, parfois, cela importerait que nous ne soyons pas jetés, chacun sur notre chemin, dans le vent qui nous emmènera au loin.
 
Mais ceux avec qui nous passons des heures, avec qui nous partageons du temps, un repas, un moment  d'immobilité dans la course du monde, ceux à qui nous écrivons, que nous prenons dans nos bras, dont nous tenons la main, dont nous caressons les cheveux, comment savoir ce qu'ils éprouvent ? Comment traverser les brumes troublantes des insincérités, passer outre les affirmations qui s'éludent, les secrets qui ne se perceront pas et qui cependant suintent dans toutes les occasions ? Car cela suinte comme une vieille blessure et nous empêche d'être tranquilles. Il n'y a pas de formule, pas de stratagème ici qui tienne, il ne reste que la solitude calme, dans laquelle elle s'enfonce peu à peu. En dépit de tout. Comme elle voudrait se laisser prendre par les filets souples du sommeil.

Elle voudrait être dans un autre temps… un autre lieu… L'absence de coïncidence est parfaite.

Là où il est. Et où repose tout le mystère opaque de ses silences. Pour l'heure il n'est possible que de passer les doigts sur les contours calmes d'un objet, de lui confier ainsi l'attente dans laquelle elle demeure de ce qu'elle ne sait pas. Et par le léger tremblement de sa main, elle tenterait bien de se défaire de tous ces empêchements à être, mais cela ne suffit pas. Il y a des liens à couper, d'un coup sec, d'un coup de lame, ils sont comme des filets qui l'entraînent au fond d'une solitude ultramarine : sa noyade est assurée. Coïncidence… alors que nous semblons tous nous promener dans d'autres temps, dans d'autres lieux,  et que rien jamais ne s'ajuste parfaitement, les phrases qu'il lui dit lui parviennent comme des échos, mais de quoi sont-elles les échos ? De quoi ces bribes de vérité sont-elles les fragments ? Elle se tend toute entière pour comprendre. Elle aiguise constamment ses sens. Et elle ne saisit rien.
 
Lui est pris dans une telle gangue de silence qu'elle ne sait plus comment lui parler.



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