Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 21 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXXII


La vie sociale est de sables mouvants tièdes. 

Plus elle se débattrait, plus elle en serait couverte. Le mécanisme est bien au point.  Les taches se verront mieux sur les vêtements solennels et raides qui retiennent ses mouvements et qu'elle a dû enfiler pour l'occasion. Tout est parfaitement réglé. Tout geste sera maladroit, toute protestation inutile. Elle est éclaboussée de leurs rires, tout le monde rit, autour d'elle, elle les regarde, cherche un appui, un visage qui simplement resterait étranger à la scène, tout le monde rit, le cercle s'est refermé autour d'elle, elle ne sait plus comment leur échapper, on voit bien que ses mouvements sont arrêtés à l'instant même où elle les esquisse, on le verrait, mais ils ne voient rien, tout se brouille, ils en pleurent de rire, se délectent de ces mots "jusque dans la mort, il nous aura emmerdé", aucun appui, aucune main à saisir. Toute protestation est inutile mais parfaitement nécessaire pour se sortir de ce cercle là. 

"C'était un ami de la famille, je le connaissais bien."

Elle sent profondément le manque de panache de cette intervention. Elle a dit ça en regardant le rieur. Sa voix a tremblé et ce tremblement ajoute à son irritation. Ils vont croire que c'est de peur. C'était peut-être de peur en effet, on ne peut pas écarter absolument cette hypothèse, elle-même non plus ne l'écarte pas. Un étrange mélange de peur et de colère l'a saisie, colère d'être salie par eux, il devenait nécessaire de se désolidariser au plus vite de ce cercle visqueux des rieurs. Maintenant qu'elle a commencé, elle se sent un peu plus capable de le redire.

"Je le connaissais bien." 

Elle soutient leurs regards à présent, et sa voix a gagné en assurance. Elle s'obstine. Elle pourraitt épuiser toute son obstination à le redire. Elle tremble un peu.  Sa voix est devenue sèche, aussi sèche que ses yeux. Maintenant, il est impossible de prévoir ce qui va se passer. Il lui faudrait imaginer une nouvelle ruse pour se sortir de ce cercle, et elle a épuisé toutes ses ressources de ce seul coup. Elle a brisé les rires, mais visiblement, cela ne suffira pas. Elle ne s'attendait pas à cela, elle n'avait pas prévu qu'il y aurait une suite, qu'il faudrait enchaîner les mouvements et les paroles. Elle pensait que tout se déferait, que son intervention y suffirait. Ils se sont tus, et tous les regards sont sur elle. Il y a un très bref moment d'immobilité et de silence auquel elle n'aurait pas su échapper.

Il intervient d'une voix calme, elle ne sait pas ce qu'il a dit, mais le cercle s'est défait, la vie sociale a repris ses droits, un peu plus loin, un peu ailleurs.


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