Il y a un moment de la nuit où le divertissement cède. La toile trop usée se déchire, il n'est pas nécessaire que ce soit sous le coup d'une brusque tension, la fine usure suffit ; et alors nous sommes seuls. Ce moment vient toujours. Fatigue des heures passées au divertissement, sous couvert, de tout et de soi : elle ,laisse à un moment reculé de la nuit, un regard sans pitié sur les choses. Alors oui, on peut comprendre le vertige qui la prend, on peut comprendre aussi qu'elle se demande comment les autres se débattent, aux bords étranges du sommeil, quand ils ont usé toutes les présences du jour, tous les possibles, quand ils ont attendu la dernière minute pour se retrouver, seuls, au fond de leur conscience, dans cette légère béance que nous portons sans doute tous.
Ce doit être une fascination pour les sables mouvants, ce n'est pas possible autrement. Si cette hypothèse est fausse, c'est à n'y rien comprendre.
C'est bien cela, cette irréductible présence spatio-temporelle, qui tente de déjouer les pièges, et ne fait rien d'autre que s'enferrer de plus en plus. Des points de l'espace-temps dont, étrangement, certains ont la conscience d'être des points de l'espace-temps. En fermant les yeux, elle voit sous ses paupières les files immenses croisées sur l'autoroute, elle, dans un TGV lancé à toute vitesse, le long d'une autoroute embouteillée, et tous ces véhicules réduits à n'être rien d'autre que des points lumineux, rouge, blanc, parfois intermittence de rouge, rien d'autre que cela, des points lumineux, alors qu'elle-même pour eux, n'était qu'un trait lumineux, elle le sait bien et l'effort d'abstraction est possible dans les deux sens, reconstruction d'eux, simplification de soi. C'est en effet seulement par un effort d'abstraction qu'il est possible d'exiger de soi la représentation que chacun de ces points indiquent, précisément, par sa position dans l'ici et le maintenant, une conscience qui, ce matin encore, a souri, ou pris du café, ouvert les yeux ou simplement baillé en regrettant son manque de sommeil après s'être fait déloger par la sonnerie du réveil de l'endroit très intime où elle s'était repliée.
Il faut donc se retenir, aux bords des sables mouvants du vertige.
Les stratagèmes sont toujours les mêmes. Il est possible de les répartir selon deux genres, on les apprend très vite. Ils consistent soit à remplir le silence de mots, les siens ou ceux des autres, de phrases, les siennes ou celles des autres, quel que soit le langage, quelle que soit la langue, écrire ou lire. L'autre méthode nocturne consiste à se retenir à des sensations, à repérer les vibrations, à identifier les points de contact avec le réel, et à se laisser porter par eux. Il doit bien y avoir quelque chose comme une texture du monde, qui oppose à tous les vertiges une résistance obstinée.
Elle s'est assise dans la pénombre, dans un fauteuil près de la fenêtre, et ce soir, s'en remet à la seconde solution. On verra bien. Disons plutôt que c'est la seconde solution qui se dessine.
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