Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 19 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXX


En effet, le cercle explose. 
 
Et rien ne se passe. Il est sidérant que, à ce point là de basculement,  le cercle explose, vole en éclats, s'éparpille dans les airs et retombe en myriades d'éclats sur les convives,  certes silencieusement, et rien ne se passe, aucun ressort ne se tend, aucun contrebalancement ne vient contrarier ce mouvement et révoquer son absurdité. Personne ne se précipite vers elle. Le cercle qui la protégeait vient de tomber en morceaux, elle n'est pas faite pour ces lieux, elle n'a rien à faire dans ces soirées, dans ce bruit, le cercle explose, la frontière se défait, tout s'effiloche, elle bascule dans soirée mondaine la plus plate qui soit, et personne ne s'avance vers elle. 
 
Les défaites sociales sont les pires. Plaie invisible, lèpre, elles rongent. Bien autrement, bien plus douloureusement. Elle vient de se voir retirer le seul bras sur lequel elle se serait appuyée pour traverser triomphalement la nuit. Il ne se rend sans doute compte de rien, lui qui pourtant, dans d'autres soirs, le lui avait offert et l'avait protégée. Il faut croire qu'il n'avait rien compris. Elle en vient à croire qu'il n'avait rien compris. L'éclatement de ce cercle dans lequel elle les pensait, tous deux, côte à côte, lui donne à soupçonner qu'elle a commis une erreur et peu à peu le cours des choses se détourne, elle le remonte, le doute les ronge, l'un et l'autre, et les dislocations se démultiplient. Elle n'est plus sûr de pouvoir, en face, regarder son visage, planter ses yeux dans les siens comme il y a encore quelques minutes elle aurait adoré le faire. 
 
Les trahisons sont ahurissantes.

On en vient alors à la trahison des choses. Le mouvement qu'il a initié ne s'arrête pas avec lui. Tout  semble lourd et pesant,  les phrases qu'on lui adresse lui parviennent à travers une distance infranchissable dans laquelle, de nouveau, les mots se perdent, il va être difficile de fuir, cependant. Le poids du réel soudain se fait sentir. Les phrases qu'il faudra dire avant de rejoindre la nuit s'enchevêtrent comme des labyrinthes, remerciements et compliments, elle voudrait y couper, trancher net, et fuir, mais il n'est guère possible de relever d'une main l'ourlet de sa robe et de partir en courant, sans même ramasser son manteau, simplement pour sentir le froid glacial de la nuit lui enserrer les épaules, et enlacer sa nuque. 

Soudain, elle ne les voit plus qu'à travers des métamorphoses haïssables.

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