Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 28 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXXV


L'air de la nuit est plus sensible à la peau nue que la fête était étouffante. Il y a un étrange effet dynamique, mais très certain, entre les impressions qui, en l'espace d'un instant, se croisent. Les premiers pas, dehors, lui sont un vertige de liberté, aussi minuscule soit-elle, c'est une liberté vertigineuse, l'obscurité luit, sur les toits des voitures alignées dans la rue, éclats métalliques, par fulgurance lointaine, des poignées, des rétroviseurs, quand les angles des rayons lumineux s'y prêtent, et au loin,  le bruit d'un moteur approche, et puis s'éloigne. Rien ne s'entend plus, martèlement, que le bruit des pas dans la rue, martèlement qu'elle fera le plus léger possible, de ses pas, dans la nuit.

La liberté minuscule a une saveur entêtante, qui se défera vite. Être partie avant la fin procure la gloire discrète et tacite d'avoir vaincu, dans le déroulement des événements du soir, d'avoir repris indûment pour son usage propre un peu des palpitations qu'elle aurait pu disperser dans un ailleurs… Sur le moment, le triomphe est immense, et disproportionné, et les impressions dispersées se condensent autour d'elle, nébuleusement, au point qu'elle ne fait attention ni au tracé de ses pas, ni au chemin qu'elle retrouve sans y penser, dans un mécanisme qui laisse à l'indifférence les impressions autres de la soirée.

L'idée est là, elle la tient, et pour la marquer dans le déroulement temporel qu'elle trouve un peu trop linéaire, du bout de son pied, elle envoie rouler au loin un caillou rond, qui rebondit contre une façade, et reprend sa chute un peu plus loin. Commencer par des exercices minuscules, Épictète peut-être, sur ce point, avait raison (c'est le seul point qu'elle lui concède, ce n'est pas l'essentiel, mais la concession est stratégique : tout le déroulement, dans la suite, en dépend). Dans les premières vibrations du mouvement est contenue toute la suite des impressions, tout le déroulement de la phrase est dans la manière première de s'extraire de la gangue de silence.

Réentendre, dans les battements les plus sourds de ses veines, quelque ancienne affirmation, depuis très longtemps, si longtemps qu'il est impossible de l'extraire d'un seul coup sec, enserrée dans une gangue de silence, qui, au fur et à mesure des jours, gagne. La visée est de retrouver peu à peu le tracé oublié de certains signes. Il doit bien y avoir, dans le monde, des traces presque invisibles de ce qu'elle cherche, et même si le vent du soir a effacé quelques signes, même si, les années passant, il devient de plus en plus difficile de les lire, le phrasé qu'elle entend s'y rapporte.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire