Ce qu'il lui raconte, personne, jamais, ne le saura. Personne ne l'a su à ce moment là du passé, où ils étaient l'un et l'autre à l'intérieur de ce cercle très étrange. Il parle. Il ne la regarde pas toujours. On ne peut pas dire qu'il ne la regarde pas ; il est évident qu'elle est au centre de son attention. Mais il ne la regarde pas constamment. Parfois il tourne vers elle son visage et accroche son regard, d'un mouvement étrange : alors qu'il est plus grand qu'elle, on pourrait avoir l'impression qu'il fait ce qu'il peut pour la regarder un peu par en-dessous, pour relever son visage vers le sien qui pourtant est un peu plus bas. Même sans entendre leur conversation, sans rien en savoir, on sent qu'il ne pourrait pas supporter, en plus, la difficulté de soutenir son regard à elle, qu'il croit limpide.
Rien, de toute son attitude, ne pourrait convaincre de cette transparence. Cela ne change rien : il la croit limpide.
Et cette certitude qu'il ne remet pas en cause va déterminer tout le déroulement dela scène. Quelle que soit la perspective qu'on adoptera, quel que soit le point de vue qu'on choisira sur eux, même de très loin dans le grand escalier d'honneur, il demeurera clair qu'il se retient, autant qu'il le peut, à ce portrait qu'il s'est fait d'elle, et dans lequel elle ne se reconnaît pas tout à fait. Il parle et autour d'eux le flux des paroles, la fête, les rires, les dissonances, en un instant, se sont repliés un peu plus loin. La scène continue, elle se déroule, soirée parisienne, mais on pourrait croire qu'elle est devenue presque silencieuse, qu'elle a sombré dans une autre strate de la réalité, et aussi étonnant que cela puisse être, personne n'a eu la maladresse de tenter une intrusion dans leur duo. Les autres convives continuent de tourner autour d'eux dans cette valse abimée et monotone, pas de deux mal assuré, et une gangue de silence à présent les protège, dans laquelle il peut lui murmurer ce qu'il veut.
Il parle, sans cesse, et sans précipitation.
Il parle comme s'il était assuré, maintenant qu'il a mis en marche un mouvement, que tout ce qu'il avait à dire est contenu dans le premier souffle du premier mot qu'il lui a adressé, et rien ni personne ne pourra l'arrêter. Il n'est donc pas nécessaire de bousculer les mots, les vocables, de les heurter, de les précipiter, de les entrechoquer. Il n'y a aucune nécessité à la précipitation des confidences. Ce qu'il lui a dit, personne ne l'a jamais su. Elle ne lui répond presque rien. De temps en temps, elle soutient son regard, de cette façon étrange qu'elle seule a su trouver. Elle ne dit presque rien. Elle se contente de marquer son attention, chaque fois qu'il avance d'un pas, chaque fois qu'il parcourt un autre méandre et qu'il lui demande son approbation, et de le soutenir ainsi, silencieusement.
L'endroit est on ne peut plus mal choisi et voilà néanmoins qu'ils sont seuls au monde.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire