Parvenus à ce point, il faut marquer un temps.
Une respiration.
Il faut trouver des accès au monde pour dissoudre la solitude par une réaction chimique aussi improbable que violente. Quelque chose comme sortir du solipsisme (bien que le solipsisme ne soit pas tout à fait complet dans son cas à elle) : elle ne doute pas que les autres existent, assurément, les autres existent. Ils trébuchent dans la rue, déchirent des lettres, raccrochent au milieu d'une phrase, s'endorment dans le train, et un livre glisse à terre de leur main ouverte. Elle n'en doute pas : ils existent. Son inquiétude est un peu plus loin. Elle doute de la possibilité exacte de leur adresser la parole et de se faire entendre d'eux. Simplement cela. Il semblerait que les paroles ne traversent qu'imparfaitement l'espace qui sépare les différents personnages de ce récit les uns des autres, qu'elles se déforment lors de ce cheminement, et que chacun reste sur ses positions.
Il n'est pas nécessaire de pousser la pointe un peu plus loin. Nous ne sommes pas dans la situation cartésienne d'une reconstruction rationnelle des certitudes. Il n'est donc pas nécessaire de commencer par le plus simple, le plus facile, pour procéder par ordre, selon de longues chaînes de raison. Il est possible ici de s'amuser un peu davantage, de procéder par désordre et avec fantaisie. Cette idée de longues chaînes de raison l'a toujours fait rêver, sans cependant provoquer chez elle le moindre scrupule. Le hasard pourrait bien être bénéfique, mais assurément on ne peut pas s'en remettre à lui, la confiance qu'on pourrait être tenté de lui accorder est un peu trop acrobatique, on risque bien de tomber de haut, et la chute sera douloureuse.
"J'ai tendu des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse."
Cela lui irait très bien, des chaînes d'or d'étoile à étoile, des acrobaties dans le cours du monde, des retournements insensés, et des glissades sur l'eau glacé du fleuve. C'est le cours pesant des choses, les états de fait, les states of affairs, qu'elle ne supporte plus. Pesanteur. Elle devine que ses épaules se courberont et que les voltiges vertigineuses seront de plus en plus improbables. Et qu'il est temps, grand temps, de réussir quelque rétablissement splendide.
Magnifique, comme toujours...
RépondreSupprimerLes voltiges seront plus improbables mais n'en seront-elle pas plus intenses ?