Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 27 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXXIV


(Caresse) 
 
L'écharpe renoue autour de son cou. L'écharpe fine s'enroule, se déroule, se resserre, peu à peu dessine autour d'elle un ruban plus tiède, dont la couleur importe peu. Le drapé manque sans doute de précision. La matière est trop souple. Tournoiement qu'on voudrait aérien, et qui reste fidèlement proche. Elle pourrait être souffle, tiédeur d'une nuit d'été, il n'est besoin que de cela, rien de plus que de cela. Un souffle tiède dans une nuit immense. Les protections les plus fines sont aussi les plus sûres. Il n'est besoin que d'elle, pour partir au loin de cette nasse étouffante, gagner la porte, remonter les possibles à reculons, et affronter un ailleurs. 
 
(Grouillement civil des hommes) 
 
Elle en est sidérée, comme chaque fois qu'elle y revient, y replonge, ils grouillent très civilement, leurs yeux inquiets d'animaux traqués restent perçants dans les visages, les sourires jamais ne déplacent plus que les traits de la bouche : rictus. Ils rient donc, très civilement. Le geste est maîtrisé, circonscrit aux seuls contours de la bouche, les joues remontent un peu, c'est mécanique, il est physiquement impossible de faire autrement. À n'en pas douter, s'il était possible de sourire en demeurant plus immobile encore, ils auraient trouvé par quelle contorsion sociale obtenir cette prouesse physique. 
 
Rien ne change, jamais : il suffirait de rentrer chez soi et de lire quelques lignes d'un auteur résolument janséniste, il n'y a rien de plus à en dire. Peut-être les formes sont-elles moins aiguisées en ce moment, elles ont dû s'émousser quelque peu ; il ne serait pas juste de s'arrêter à cette étude de mœurs, il vaut bien mieux gagner la sortie. Ils grouillent dans la nasse, comme des insectes en devenir,  se débattent conscients de leur existence, inquiets de sa valeur, prêts à toutes les cruautés si besoin est.
 
La solitude, seule, pourrait la reconduire en son lieu propre.

(Ouverture) 
 
Ainsi qu'une ouverture d'opéra. À présent, il va falloir retisser tous les liens, tous les possibles, tous les lendemains. Ce n'est pas une mince affaire. Elle constate avec une tristesse douce qu'un fil tiré traverse toute la trame et la resserre, qu'il prêterait la voie à une déchirure dans le tissu léger et chaud. Caresse déchirée : la chose est nouvelle. Jusqu'à présent, elles se contentaient de n'être que déchirantes. Elle s'arrête dans le vestibule, et sans prendre garde à la nasse grouillante, remet en place les choses, la tête penchée sur ce seul objet du monde qui retient son attention. Fine trame des choses et des jours, la caresse autour de son cou, et le silence qui l'enveloppe. Fine et très légère trace d'un possible qui ne se dessinerait que dans l'obscurité de la nuit.

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