Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 16 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXV


C'est une situation étrange. Voilà près d'une heure qu'ils parlent. Une heure, ou, d'un point de vue mondain, un temps infini, elle ne sait pas, elle ne compte pas.  Ils se sont retirés dans un lieu à eux, en plein milieu de la fête. Il parle, il lui raconte son désarroi. Elle est suspendue à ses lèvres. Il raconte ce à quoi elle ne peut rien, et à quoi il ne peut plus rien. 
 
Dans le temps suspendu de la soirée, un autre espace vient de s'ouvrir.
 
Il parle, elle écoute avec une attention si fine, si transparente, qu'autour d'eux, la fête s'est retirée.  Les bulles montent, parfaitement verticales, dans la coupe qu'elle tient, et qu'il a rempli à nouveau. Leur attention l'un pour l'autre, ils s'y réfugient, a créé tout autour d'eux un lieu du monde où elle est à l'abri du désordre et du bruit de la soirée. Hors du vacarme et des rires, dans lesquels elle sent que la solitude est pesante ; et le divertissement devient triste, dans chaque rire, au creux de chaque éclat qui se répand sur les autres convives, les éclabousse, les atteint en plein cœur, il y a l'oubli qu'on cherche et qui ne se laisse pas écarter si facilement. 
 
Il la tient à l'abri dans un cercle que les convives, à présent, évitent sans même y penser. 
 
Le flot mondain recule et s'écarte autour d'eux. Il lui parle. Elle écoute. Suspendue à ses lèvres, dans une immobilité délicieuse. Ce qu'il lui raconte, personne ne l'a su, la fête s'est retirée autour d'eux. Tous vont leur pas dans le divertissement mais une prudence secrète les détourne du cercle intense qu'ils ont ouvert tous les deux. Les femmes, tâches colorées, continuent bien de renverser leur chevelure en arrière et de rire, les hommes, comme des traits noirs, ponctuent dédaigneusement le décor et traversent l'espace avec des coupes de champagne à la main. Tout se décale. Elle écoute. Ils sont, l'un pour l'autre, dans un espace par eux ouvert, et pour eux seuls, au milieu du brouhaha et des rires, qui leur arrivent, par vague, et qui les éclaboussent à peine. Parfois on la bouscule à peine, et lui passe son bras pour la replacer dans ce cercle ouvert pour eux seuls.
 
Il doit y avoir quelque chose comme une frontière ténue mais bien réelle à la limite de sa voix, que personne d'autre ne peut franchir.

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