Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 8 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XVII


C'en est fini, cette fois. La vie va devenir coupante comme une lame de rasoir.

Fini des espoirs, des attentes, des rêves. La vie va devenir âpre et précise. Elle prendra des risques, elle ne rêvera plus, elle sera autre, elle ne sera plus cette ombre douce qui se délite dans la nuit. C'est peut-être l'alcool, les vapeurs d'un mojito, un nouvel accès de désespoir, une contraction soudaine de son visage, mais cette fois c'est fini. Ni dieu ni maître, ni foi ni loi. Plus rien. Une plongée dans le vide. Rien que cela : une plongée dans le vide, en apnée. Maintenant ça suffit. Elle le sent, elle va encore recommencer. Elle va se torturer, se sonder, s'interroger, alors que lui, il dort, certainement, il dort, que ferait-il d'autre à cette heure de la nuit ? il dort, il se repose, il reprend des forces, pendant qu'elle veille, elle veille tout le temps, elle ne dort plus, un enfant malade, un aïeul malade, un souci, un papier perdu, une conférence à terminer, elle veille, il dort, elle s'amenuise, il se conforte. Elle se révolte.

C'en est fini. Elle va devenir coupante comme une lame de rasoir.

Qu'importe qu'elle se blesse et qu'elle blesse les autres ? Qu'importe ? Elle qui n'a presque jamais de regrets sait que, de toute son existence (qui n'est pas si longue, certes, mais des rides légères commencent à se marquer aux coins de ses yeux) elle n'a jamais rien regretté, rien, sinon seulement ses bonnes actions. Elle n'aurait pas de regret sans cela. Chaque fois qu'elle a accompli une action méritoire (au sens de Kant, passons, on n'a pas le temps), elle n'en a eu que des regrets, et seulement des regrets. Il faut aller son pas, aller son chemin, ne pas écraser les autres, d'accord, elle en convient, mais lui, il dort pendant qu'elle se consume. Elle n'en peut plus. Il dort. Elle n'en peut plus. Elle n'est plus là pour faire des bonnes actions. Plus maintenant. C'est fini.

Les larmes ne lui font pas peur.

Elle se moque des larmes. Les larmes, elle les connaît. Elle les voit couler à la demande sur ses joues, elles la sortent de toutes les situations, ce sont ses plus fidèles alliées, elle a toujours pleuré à la demande, aussi loin qu'elle s'en souvienne, petite, pour que sa mère n'entre  pas dans des colères qui la terrifiaient, ensuite pour détourner d'elle tout et le reste, et n'importe quoi d'autre, alors elle s'en moque. Elle n'est pas sincère, mais elle s'est pardonné à  elle-même depuis longtemps ce manque total de sincérité. Ce n'est pas grave. Elle les fera danser à sa manière, à son pas, à elle, elle cessera de souffrir et de s'inquiéter et les autres à leur tour souffriront et s'inquiéteront. 

Il n'est pas nécessaire d'exercer toujours les vertus chrétiennes.

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