Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 18 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXVIII


Elle le pressent, cet équilibre instable ne pourra pas durer. 

Ils sont presque immobiles, l'un à côté de l'autre, en équilibre au bord de cette soirée, ils ne parlent presque pas, seulement pour donner le change, il répond d'un sarcasme léger aux toutes petites choses qu'elle dit, elle sourit alors, et le regarde en coin, et la conversation se perd, reprend ailleurs, elle est devenue entièrement décousue, elle s'effiloche, ils se perdent dans leur rêverie commune, elle sait qu'elle ne peut rien faire, il sait qu'il ne fera rien, mais en attendant, ils sont l'un et l'autre à côté l'un de l'autre et c'est à croire que pour un moment cela suffit à leur donner une place dans le monde. Un instant, ils n'ont pas besoin de reprendre leur course, leur souffle, ils se plaisent à constater la parfaite symétrie de leurs gestes, ils se répondent dans un espace qui peu à peu n'est plus le même, elle se penche et lui aussi, il tourne la tête, elle lui répond du même mouvement, il était donc inévitable, à un moment, qu'ils se retrouvent côte à côte et que, de profil, ils soient l'un tout contre l'autre.

Mais il y a dans ce jeu là une faiblesse insigne.

Ils ne parlent plus assez. C'est compréhensible, on ne leur en fera pas reproche. Des phrases trop absurdes lui traversent l'esprit. Elle pressent qu'il lui arrive la même chose. Il vaut mieux qu'ils se taisent. Alors ils peuvent à volonté se glisser dans des pensées tacites, qu'ils partagent en dépit du lieu et du bruit, des claquements des pas, les femmes en talons hauts,  elles passent, pavanent, il lui demande si elle n'est pas pieds nus pour être aussi silencieuse quand elle se déplace, et ils sourient des mêmes choses, qui les font rire en même temps. 

Leur stratagème commence à se voir, la stratégie s'évente.

Ils ont l'air un peu trop ailleurs, ce qui indique qu'ils partagent un rêve, et qu'ils se sont abstraits du monde. Ils ne jouent pas le jeu, cela devient parfaitement clair, pour tout un chacun. La tricherie est évidente. Ils ne répondent plus aux conditions qui avaient été posées. Ils ne sont que deux personnages et voilà qu'ils prennent leurs distances. Le décor est planté autour d'eux, buffet, bouquets majestueux, fête mondaine, les conversations fusent, et le champagne dans les coupes fait monter des colonnes verticales et interrompues de bulles minuscules, dans les mains qui les tiennent, toutes les mains, et personne ne doute qu'ils pourraient être n'importe où, sur un chemin, sous la pluie, on voit bien qu'ils ne sont plus là.

Ils sont très loin déjà.

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