Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 17 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXVI


Il suffirait de les regarder avec un peu plus d'attention. La surface des choses se laisse aisément percer et la fine pellicule de mensonge et de convention ne résiste pas très bien. Heureusement pour eux, chacun, dans l'immédiat, les évite et les contourne. De sorte que leur secret reste pour un temps encore suspendu à leurs lèvres. Car on s'apercevrait aisément que leurs mouvements sont parfaitement réglés l'un sur l'autre et il deviendrait parfaitement évident qu'ils dansent, au milieu de la fête, qui  bat sa pleine mesure,  dans une indifférente infinie au monde, une valse infiniment si lente, presque infinie, qui fait paraître les mouvements des autres, de tous les autres convives violents et désaccordés, et saccadés.


Depuis qu'il lui parle, ils se sont à peine déplacés, ils ont circonscrit leurs pas dans un espace très étroit, dans lequel leurs mouvements pas un instant n'ont cessé de se répondre. Elle a tendu son verre, et il a saisi une bouteille de champagne, sans presque bouger, sans même regarder le buffet auprès duquel ils se tiennent, et tout en continuant de lui parler, il l'a servie, lui a souri, sans que le cours de ses confidences ne s'arrête un instant, elle a murmuré quelques syllabes que sans doute il n'a pas eu besoin d'entendre pour les comprendre, et qu'elle n'a pas voulu rendre trop insistantes, et il s'est retourné vers elle, de nouveau.


Vient un moment où elle avance d'un pas vers lui et lui aussi, avance d'un pas vers elle. Il se rapproche et leur valse très lente peut commencer. Elle esquive, d'un quart de pas vers la gauche, sa main frôle la nappe du buffet, elle esquisse un geste vers lui, et lui, d'un mouvement insensible, reprend sa place, si on regarde bien, on s'aperçoit qu'il n'est pas face à elle,  mais qu'il s'est très légèrement décalé, de manière à ne pas affronter son regard mais plutôt, à glisser son visage dans une ligne de l'espace parallèle à celle où elle se trouve.

Ils ne se touchent ni ne se frôlent. Elle répond à ses mouvements, elle se glisse dans l'espace qu'ils ouvrent, aussi peu dessinés soient-ils, elle les devine sans hésitation, tous deux ont accompli un cercle complet et se retrouvent dans la position même de l'espace, à l'endroit précis où ils se sont rencontrés, au début de la soirée.

Par moment, il lui murmure une chose, et elle s'incline vers lui pour mieux entendre, puis tous deux s'écartent très légèrement, à peine, simplement pour pouvoir revenir l'un vers l'autre dès qu'une variation de leur voix, une tonalité plus assourdie, le leur permettra. Leur conversation a changé. Il est clair qu'il a délaissé le domaine des confidences, et qu'ils ne se disent plus que des choses très anodines. Ils continuent à esquisser ces pas et semblent s'en délecter au point que leur conversation n'est plus qu'un prétexte pour écarter les autres. Toute leur attention porte sur la chorégraphie très lente dans laquelle ils se sont reconnus.

Ils se plaisent à ne presque plus rien dire, afin de demeurer dans ce cercle qu'ils ont tracé autour d'eux et dans lequel ils s'accordent cette valse silencieuse. Et chacun d'eux le sait.


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