Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 6 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XIII



La vraie question, celle qu'elle ne parvient pas à formuler pour elle-même, et autour de laquelle elle achoppe dans l'obscurité enveloppante de sa chambre, est toute autre. Il n'est pas clair, encore, qu'elle la formulera. Elle a, une fois de plus, esquivé, ce qui constitue quelque chose comme un réflexe de survie. Encore un pas de côté, un léger décalage, et rien ne transparaîtra. Les stratagèmes sont sublimes, qui permettent de ne rien dire, et mieux encore, de ne rien se dire à soi-même. Sublimes et épuisants. Tous ces cheminements qui mènent au loin de soi, pour trouver à se recroqueviller dans un coquillage de silence. La lumière dans la chambre va rester inchangée interminablement, il n'y a pas grand chose à attendre d'autre que le matin, alors, il devient difficile de se tenir aux mêmes bavardages insignifiants avec soi.

Une voiture passe. Ce qui se perçoit est d'abord une vibration sourde sur les pavés, puis seulement les phares qui traversent selon leur trajectoire rectiligne, l'espace d'un instant, l'extension spatiale de la chambre. Bien que l'impression soit purement visuelle, elle en attendrait une caresse. Quelque chose comme une caresse. Qu'elle croit  sentir. Toujours ce même étonnement, que les sens puissent se parcelliser, se morceler, et n'être pas tous absolument cohérents, que la lumière des phares passe sur elle sans qu'elle ne sente leur caresse impalpable.

La seule question qu'elle se pose, au fond, c'est de savoir comment lui négocie cette heure.

Elle sent qu'elle le perd dans la nuit. Ils sont l'un et l'autre chacun dans leur espace clos, et elle a beau tendre autant qu'elle le peut vers lui, rien ne lui permet de sortir de la bulle de solitude dans laquelle elle se trouve. Quelque chose comme un paroi transparente, un cristal fin et résistant, qui assourdit tous les bruits, toutes les impressions, et qui empêche que le vent ne caresse sa joue. Pour la briser, un instant, elle se lève, ouvre la fenêtre et laisse entrer dans la pièce l'air glacé de l'hiver. Elle ne veut pas tout perdre dans la nuit mais la partie se révèle plus serrée qu'elle ne le pensait.

Et tout d'un coup, comme l'air vif qui peu à peu prend le dessus dans l'atmosphère de la chambre, les questions se pressent, ça y est, elle ne résiste plus, il n'y a plus moyen de les faire taire, il n'y a plus moyen de les arrêter, elle se rend bien compte qu'elle a passé la journée à donner des réponses, à aligner des certitudes, à baliser des situations, à affiner des points de vue, et elle n'a entre les mains, à présent qu'elle est seule avec elle, rien d'autre que des doutes, des questions, des farandoles de questions, des interminables défilés d'incertitude qui jamais ne cesseront et qui font un étrange tintement dans le silence de la nuit. Elle n'a rien, rien d'autre que des questions, absolument rien d'autre que des questions béantes.

Et un vide immense en elle.

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