Les souvenirs de l'enfance, en leur temps, se sont tissés si étroitement, si finement, qu'ils pourraient ramener au monde ; pourquoi ne pas les suivre ? Un lien nous serait donné, qu'il suffirait d'enrouler autour de son poignet, presque rien, quelques tours enroulés autour d'une articulation, et là, on le devine, immobilité de l'âme, point fixe autour duquel le mouvement peut se faire sans que tout ne s'effondre et ne se déséquilibre, immobilité de l'âme, en tant qu'elle est nécessaire au mouvement et seule le rend possible, soulignée par un lien très doux, enroulé autour du poignet. L'hypothèse a le mérite de la simplicité (exercice minuscule). On conviendra qu'une main alors se souciait de ce fil qui rattachait l'enfant à la suite de ses jours. Quelque chose le retenait, texture douce et serrée, qui s'est effiloché par la suite, les brins se sont défaits peu à peu, l'un après l'autre et ce qui était une toile fine se déchire d'accrocs multiples, à travers lesquels le froid de l'hiver est durci.
Il serait possible de remonter le ruissellement des impressions sur la peau… Comment le croire…
Il y avait en eux quelque mouvement intime si intact qu'il était possible de se fier absolument à la vibration qui émanait d'eux. Certes, les impressions alors étaient nouvelles, mais ce n'est pas cela seulement, qui faisait leur valeur intrinsèque. Certes elles se déployaient sans la surimposition étouffante des souvenirs, des regrets, des désillusions, mais ce n'est pas cela seulement qui les distingue des jours actuels. L'eau ruisselait sur la peau, les histoires s'égrenaient, les écorchures sur les mains lors des courses à vélo griffaient la peau, et les genoux en sang signaient la fin de l'aventure.
Hélas, aussi lumineux fussent-ils, ils ne sont plus qu'ombres opalescentes. À se demander si un mouvement subreptice n'inverse pas tout exprès la proportion. L'éclat d'une pierre de lune, aussi atténué et complexe soit-il, presque décomposé en spectre lumineux, tend à se concentrer, évite avec prudence de se disperser dans un rayonnement, et parvient finalement à annuler tout mouvement centrifuge. Ils passent parfois, comme des caresses, dans le dédale des nuits, mais bien vite se révèlent incapables de nous reconduire à la rencontre des jours : le fil d'Ariane choisi égare un peu plus profondément dans le labyrinthe et nous nous réveillons, seuls, au cœur de la nuit d'hiver, face à des angoisses dévorantes.
Quand elle baisse la tête pour monter dans le taxi, son souffle, dans son écharpe, sur son visage, a une douceur presque oubliée.
Où va le taxi de ce grand labyrinthe ? :-)
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