Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 12 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXI


Immersion d'un individu en eau profonde.

Avant la soirée, on lui aura permis, à condition qu'elle se soit acquittée dûment de toutes les charges qui lui incombent, de masquer quelque peu la vérité de ses traits. On ne va pas discuter ici de la pauvre thématique "le maquillage révèle-t-il ou cache-t-il ?" ou mieux encore "le maquillage révèle-t-il ce qu'il cache ?". Il n'est pas obligatoire d'user ses phrases sur tous les poncifs de notre époque, de gaspiller nos vocables pour n'invoquer que du vide. On lui aura laissé le temps de masquer ce qu'elle veut, de cacher ses secrets, de fermer son visage sur ses déceptions et sur ses désillusions. Et on la lancera, sans autre préavis, dans une soirée académiquement parfaite.

La porte s'ouvre et des dizaines de visages sont déjà animés, souriants, enjoués, spirituels, si parfaitement spirituels lorsque la maîtresse de maison lui ouvre la porte. L'appartement s'ouvre, se déploie, immense, dans lequel elle doit à présent naviguer sans avoir du tout pris le temps de faire le moindre repérage. Bribes de conversation. À chaque fois, le même cérémoniel se déroule, dont l'absurdité est parfaite. Les équations sont toujours les mêmes, il faudra les résoudre, disons une vingtaine de fois dans la soirée, sans rien faire tomber sur les tapis persans. C'est à peu près cela que l'on appelle une soirée.

Deux personnes, disons A et B,  qui ne se connaissent pas sont présentées par une troisième, C, qui les connaît toutes les deux. C dispose donc de toutes les cartes. Elle a un atout puissant dans son jeu. A et B, prises piteusement sur le fait, répondent comme elles peuvent et doivent faire montre d'une certaine habileté pour éviter toutes les chausse-trappe. Puis, au moment où éventuellement il pourrait y avoir quelque chose qui puisse se dire, outre les très conventionnels mais peu porteurs "vous voulez une coupe de champagne?", exactement à ce moment là, C choisit de s'éclipser. En un bref instant, A et B passent de centre de l'univers de C à pestiférés, la dégringolade est extraordinaire. Alors les pestiférés A et B reprennent le flambeau de la conversation, le porte, ma foi, assez haut, quand arrive une ombre furtive, C',  qui connaît parfaitement B mais absolument pas A. B est en position de force ; A, qui vient de perdre deux parties coup sur coup, choisit dans ces cas-là d'aller chercher sa bonne fortune, ou bien demeure planté là, comme un piquet, à regarder alternativement le bout de ses chaussures ou l'assemblée.

C'est dans les pas de deux que les quelques variables de la soirée, je veux dire par là, les invités effectueront, quand les triades se délitent, se défont et qu'il faut les recomposer un peu plus loin, que l'on verra un instant se révéler la vérité de leurs visages, quand presque par mégarde, ils soulèveront leur masque pour chercher un visage d'un air inquiet, qu'ils iront s'asseoir, quelques minutes, sur un fauteuil, un peu à l'écart, pour reprendre les forces sociales qui pourraient leur faire défaut, qu'on les verra dans la vérité de leur désarroi.

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