Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 22 décembre 2010

Manuel anti-onirique, XXXIII


Des éclaboussures l'avaient atteinte, ce n'était rien de plus, rien de grave, et même si le velours de sa robe, par endroits, était rongé et dévoré d'acide, il l'avait protégée aussi bien qu'une armure étincelante, lui dont l'éclat était pâli. Elle ne sortait pas tout à fait indemne de la joute, elle n'en sortait, il fait le reconnaître, et rendre à chacun son rôle dans cette histoire, que parce qu'il l'avait retenue, au moment où elle pensait sa trahison avérée, et qu'il l'avait empêchée de sombrer, mais une seule chose comptait : elle ressortait de ce bourbier, et la fatigue aidant, le besoin de la nuit profonde, du silence  étoilé, se faisait plus pressant, plus insistant.

À un point tel qu'elle ne put que l'écouter et le laisser conduire ses pas.

Elle avait déjà remarqué cette façon qu'a la boue de devenir aussi coupante qu'une lame quand elle atteint sa victime, dans des éclaboussures insensées, cette façon qu'elle a de pratiquer de fines incisions, très profondes, des myriades de blessures minuscules, comme des constellations inversées, dans toute protection aussi sûre soit-elle. Il fallait agir vite et les laver dans la profondeur infinie de la nuit, inverser les regards et les plonger dans le ciel comme on plonge dans un gouffre, lever la tête et prendre la mesure que l'homme n'est pas la mesure de toutes choses. Tous les battements de son cœur ne cessaient de le lui redire, de le lui répéter, incessamment, inlassablement, il fallait fuir, au loin, reprendre souffle, reprendre vie, il le lui avait montré, lui qui restait sur les berges mais la poussait au loin.

Une fois ce premier jeu de miroir brisé, elle n'avait plus rien à perdre ni à craindre. 

Il fallait simplement plonger dans les profondeurs de la nuit, rien de bien compliqué, ensuite de quoi il fallait s'y laisser perdre comme on plonge dans un gouffre, affronter les silences,  passer les vagues de silence les unes après les autres, on pouvait les compter mais cela n'était pas nécessaire et permettrait alors de regarder, à partir de perspectives inavouées, des points de vue que nulle part ailleurs elle n'aurait eus sur l'obscurité aveugle, d'y percevoir des bruissements de soie et, si les dieux de la chance et des métamorphoses lui souriaient, d'y entendre de secrètes versions du monde, dans des tonalités qu'elle ne parvenait pas, de là où elle se trouvait actuellement, à entendre. Il devait être possible au moins, comme le fit Ockeghem en son temps, d'en proposer au moins quatre tonalités différentes et de les suivre chacune jusqu'au bout dans tous les méandres nécessaires à leur achèvement. 

Tout reste continuellement à reconstruire et rien n'est stable dans ces sables mouvants.

Elle décida d'y affûter ses sens, d'y abandonner toute résistance, pour, au plus vite, gagner la sortie et se retrouver très loin de toute cette mondanité bourbeuse (cela lui faisait toujours le même effet, avait toujours le même goût dans la bouche, un goût de sang, douceâtre et tiède, sans aucun intérêt). Elle l'avait déjà goûté plusieurs fois, n'y prenait aucun plaisir, n'y voyait aucune variation digne d'être conservée en mémoire. Munie de ces quatre blancs-seings, de quatre tonalités différentes, elle pouvait  enfin fuir et se laissa aspirer délicieusement dans des profondeurs autres.

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