Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 4 octobre 2010

Carnets lointains, 1 (quotidien)

Vint un moment, je ne sais plus lequel, où il fut inévitable de revenir dans le quotidien.

J'ai donc été déversée par mes rêves, par mes cauchemars et mes angoisses, et par toutes les déceptions, dans le matin blême du quotidien. Quelque chose comme un tremblement, une secousse, et l'errance soudain se trouva enserrée dans des rails étroits qu'il fallut bien suivre. Je me suis retrouvée debout sur les berges du jour. Déversée. Reversée dans le flot. Je ne me suis pas retenue. Je n'ai pas protesté. Il n'y avait aucune accroche. Je suis restée étonnamment calme, mais c'est seulement parce que le coup avait été trop fort. Il y a des moments où il ne sert à rien de protester, j'ai préféré ne rien dire, reprendre le fardeau. J'ai ramassé mes affaires éparses,  rattaché mes cheveux, et me suis recomposé le visage que j'arbore le jour, j'ai renfermé les questions, et détourné mes regards. Et un autre jour a recommencé. 

Je dis 

"un autre jour

parce qu'il y eut en lui, ou il y aura en lui, je ne me souviens pas (tous ces naufrages successifs, tous ces abandons, de moi, des autres, s'entremêlent, et ma mémoire, à force de se jouer de l'exactitude, ne rend pas mon récit très aisé) des variations, peut-être infimes, certainement infimes, mais qui feront qu'on nous dira d'une voix assurée

"tu as déjà pris des sashimis hier, tu ne veux pas autre chose ?

qui nous feront entendre (et alors nous sursauterons)

"je t'ai déjà dit mille fois de le faire, tu ne vas pas me dire le contraire ? tu attends quoi ? le déluge ?"

alors qu'à ma connaissance, personne n'a compté exactement, que ce résultat est très largement surévalué, et qu'un déluge, oui, c'est exactement cela qu'il  faudrait, une pluie immense, diluvienne, tiède, une pluie de mousson sous laquelle je pourrais partir en courant pieds nus, mes chaussures à la main, non pas tant pour préserver cette vieille paire de ballerines qui n'existe plus que dans mes souvenirs (je crois même qu'un jour de cruauté subtile, je l'ai jetée), mais pour sentir sous mes pieds l'asphalte tiède qui se noie de pluie, le courant de l'eau qui descend l'avenue pendant que je le remonte en courant, en relevant l'ourlet de ma robe trop longue pour vraiment courir, face au vent, face à l'orage, pour sentir la pluie qui colle des mèches de cheveux à mon front, à ma nuque, qui roule sur mes joues, efface mes larmes, les noie, les emporte, oui, un déluge, c'est exactement ce que je veux, là, maintenant, une immense pluie, la mousson, tiens, même ! qui nettoie tout et me fasse éclater de rire alors que ma robe est trempée et que je cours pieds nus !

Oui, j'attends le déluge, comme Cavafy attendait les barbares. Nous attendons tous les deux,  réfugiés dans notre désespoir.

À la place de quoi, je détourne un peu la tête, et compose une réponse acceptable, la moins éloignée possible du très convenable

Entendu, je vais le faire.

C'est atterrant, cette habitude que nous avons prise de ne dire que des banalités. 

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