Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 20 octobre 2010

Carnets lointains, 13 (alternance nycthémérale)


Voilà que l'alternance nycthémérale reprend ses droits.

Il faut repartir dans l'affrontement sanglant : on n'en sort pas indemne. Autrement dit, mon réveil sonne. Quelques mouvements mécaniques (si mécaniques que je ne saurai pas les décrire) me conduisent non loin d'une tasse de café. Dans la lumière crue de la cuisine. La vaisselle n'est pas faite. Non ; je n'ai pas fait la vaisselle. Elle traîne dans l'évier selon des empilements hasardeux. Il y aura bien un moment où tout cela s'effondrera : ça ne peut pas tenir très longtemps. Il serait déraisonnable d'espérer que cela tienne un jour de plus. Ce qu'il me faut est un café brûlant. L'opération s'avère plus complexe que prévue et demande des circonvolutions intenses, quelque chose comme un calcul intense des équilibres et des contrebalancements (mais je suis rompue à cela).

Pour l'instant, je ne pense pas encore.

Je suis aux bords. Assise ainsi, aux bords du vide, je préfère ne penser à rien. Finalement, c'est plus confortable ainsi. Pas loin, il y a du vide. Tout autour de moi. Mes jambes se balancent dans le vide, pendant que je reste à peu près indifférente sur un tabouret minimal. Il y a longtemps (depuis l'enfance) que je n'avais pas ressenti cette légèreté de celui qui est assis sans que ses pieds ne touchent le sol.  Je sens le vertige du monde, et la fumée monte de ma tasse de café. Noir. L'opacité de cette boisson est fascinante, je ne suis pas sûre de l'aimer, je me pose la question chaque fois que j'en bois, souvent, plusieurs fois par jour. Seulement, elle brûle. La tasse entre mes mains. Mes lèvres à son contact. Ma gorge, aussi. Elle fait ce qu'elle peut pour me ranimer. Les objets font tout leur possible pour remplir ces vides sidéraux dans lesquels nous chutons constamment, ils font tout ce qui est en leur pouvoir, j'ai fini de m'en convaincre, et pourtant notre vie est vide. Agitation vaine. Et les regards. Ils sont parfois si abyssalement vides qu'il est difficile de les relever. Il y a quelque indécence à soutenir certains regards. On voit le vide de l'âme : il est plus dépouillé que toute nudité ne le sera jamais. Que toute nudité ne le pourra jamais être.

Cela ne devrait pas être compliqué.

Il suffit de plonger dans le jour, et de se mettre à nager. Coordonner les mouvements demandera, je le sais, je m'en souviens, un peu d'attention. Comme la première fois, en apesanteur, dans les vagues, et le courant, presque ivre de cette liberté nouvelle des mouvements, de cette liberté retrouvée, il a suffi de se mettre à nager. Ce ne devrait pas être plus compliqué que cela, nager, dans le jour, dans les obstacles, et contre le courant du jour, jusqu'au soir, nager, nager contre les vagues, passer les vagues, monter et suivre leur mouvement ascendant, et redescendre, respirer, coordonner le souffle et les mouvements, les uns aux autres, respirer, par moment j'y arrive parfaitement, sortir la tête de l'eau, au bon moment, ne pas étouffer, ne pas aspirer d'eau, ne pas respirer, non pas maintenant…

L'eau est entrée dans mes poumons. J'étouffe.


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