Nous étions immobiles dans la lumière grise des jours, presque épuisés d'être nous-mêmes. La trame de nos êtres tout le jour durant s'était usée, dans les déceptions et les trahisons des espoirs et des possibles, il n'y avait presque plus d'air respirable, de sorte que nous étions parvenus à ce point où, de nous, dans le crépuscule défaillant, il ne restait plus que des mouvements fantomatiques confiés à la mécanique triste que nous sommes parfois. Et d'une main nous ne retenions presque rien, à la barre du métro, qu'une envie de tomber. De trébucher dans le chaos du monde.
Et voilà que la grâce des nuits s'est étendue sur nous.
Possibilité de l'oubli et du délié. Les rêves sont une écriture ; ils courent sur la page. Il me passe devant les yeux, sous mes paupières closes, en souvenir lointain et précis, ces images, d'elles, j'ai oublié toute l'histoire qui les avait suscitées, j'ai tout oublié, sauf cette écriture ouverte qui court sur la page, parfois, lors d'une brève interruption, la main se relève, la plume se trempe dans l'encrier, et de nouveau, après la rapide cassure du rythme (apparition des inscriptions), le langage reprend sa course contre l'absurde du jour, inépuisables, l'un et l'autre inépuisés, et jamais ce mouvement jamais ne cessera, symétrie de l'absurde et du sens, qui s'entrecroisent l'un et l'autre, dans un entremêlement qui jamais ne cesse, même au cœur de la nuit.
Comme nos cœurs qui, pour le moment, tiennent une basse continue.
L'écriture suit une ligne musicale dont il est presque possible de percevoir les sonorités. Le tracé même des mots commence à fascine le regard, leur mouvement dans l'espace de la page dessine des traces de notre présence, plus fiables que l'ombre portée de notre corps, plus précises que l'empreinte de nos pas dans la neige. Plus sûres, même, que notre chaleur contre la tiédeur d'un autre dans le silence de la nuit, et l'accord des souffles. L'écriture suit sa ligne, obstinément, se constitue rempart contre le vacarme inaudible du dehors. Alors même qu'il ne serait pas possible de la déchiffrer, dans l'espace onirique de cette page, elle poursuit sa course intense et calme, indifférente à tout ce qui n'est pas elle. Dialogue de l'écriture et de la pensée, qui vivante, se coule dans l'espace visuel qui s'ouvre géométriquement.
Je reconnais en elle la détermination que mon cœur met dans la suite ininterrompue de ses battements.
Obstination conjointe, de la respiration et de l'écriture, qui s'identifie à son rythme, soutenu, jamais interrompu, il n'est pas possible de faire autrement, les mots se déploient et se suivent selon le rythme essentiel des battements de mon cœur, là, dans le creux de mes tempes, et l'écriture au même moment se déploie sur la page, suit les indications les plus fiables qui soient de la vie qui bat, et le rythme est le même, parfaitement accordé.
Sa respiration calme laisse deviner la nuit qui en lui, reconstitue la vie.
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