Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 10 octobre 2010

Carnets lointains, XIX (courants profonds)


Il est temps de revenir aux courants qui traversent les profondeurs des nuits. 

De s'enfoncer de nouveau dans les rêves lointains, non pas ceux qui nous ramènent à la lumière des matins, mais ceux, sidéraux, où on oublie qui on est, et jusqu'au souvenir de la vie dans laquelle, tout le jour, on s'est débattu si violemment contre la pesanteur, dans la glu du réel, dans laquelle on se débattra, cela jusqu'à la fin, sans répit, dans les gluaux où l'on s'empêtre. Interruption de la course des jours, l'interruption revient dans la course des jours, au point qu'on pourrait être tenté par un courant plus fort qu'elle, au point que David Hume, oui, toujours lui, se demandait si nous ne cessions pas d'exister chaque fois que nous dormions.  

Il avait le soupçon que nous cessions d'exister chaque fois que notre conscience vigilante abandonnait sa veille et son attention constante. Sans doute, lorsque nous sommes éveillés, nous retenons-nous aux bords du monde comme on se retient de tomber dans un gouffre. L'interruption de sa tension ne pourrait-elle pas être interruption de notre existence, que nous reprendrions un peu plus loin dans le temps, quelques espaces de temps plus loin que le point de son interruption ? J'avoue qu'il n'a pas tort et que cette rêverie, parfois, m'a traversée de part en part.

Abolition de la conscience, le voyageur épuisé et bercé par le mouvement du voyage, s'endort et se réveille des milliers de kilomètres plus loin, il pensait arrêter son mouvement en un lieu connu de lui, y retrouver des habitudes et remettre ses pas dans des pas qu'il avait déjà tracés dans la poussière fine et légère, répandue sur le sol. Mais le balancement du voyage, insidieux, l'a entraîné dans le sommeil, dans le sommeil il a basculé et perdu les traces de sa conscience, et ce sont les courants profonds venus d'il ne sait où de sa conscience qui l'ont entraîné où ne pensait pas aller, bien au delà de toutes les prévisions spatiales qu'il avait pu faire. 

Et le contrôleur imperturbable se demande, pour une fois, s'il doit verbaliser ou non,  et reste immobile et pensif, devant ce voyageur endormi dans son siège, à des milliers de kilomètres de sa destination. On discutera de lui, plus tard, sur les bancs des universités de droit, mais on aura perdu la saveur du vacillement qu'il a dû ressentir, du tressaillement qui a été le sien, quand la main du contrôleur s'est posée sur son épaule et l'a reconduit soudainement à la surface du monde.

Il est temps de revenir dans ces courants profonds, la course du jour a assez duré, il est temps, largement temps, de retrouver la chaleur des nuits, et la douceur de l'oubli,  la douceur apaisante de l'oubli, l'abolition des mouvements volontaires et la fin provisoire des gestes intentionnels, ils n'ont que trop duré, de rechercher la perte des souvenirs et de la mémoire, il est temps de laisser la fatigue affirmer son emprise sur les mouvements, de laisser les membres devenir plus lourds, et les gestes moins précis,  moins rapides, jusqu'au point de n'être plus nôtres. Et Hume alors avait bien toutes les raisons de se demander si, dans cette abolition de nous à laquelle nous nous livrons sans inquiétude, nous continuons en effet à être nous, ou si nous ne disparaissons pas tout simplement de la surface du monde.

La surface du monde n'est rien. Nous y dansons tout le jour dans un vertige obsédant. Il est temps que cela cesse avant qu'il soit temps que cela reprenne.

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