Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 6 octobre 2010

Carnets lointains, 7 (ivresse)


Quand l'après-midi s'est terminée — je ne sais pas trop comment, mais ce qui est sûr c'est qu'à un moment la lumière a décliné, elle a commencé insensiblement à décliner, puis c'est devenu évident, les rayons obliques de ce soleil de printemps ont rasé les toits des hôtels de la rue Cardinale, ils ont caressé la ligne harmonieuse des toits, ils ont souligné élégamment leur unité extrême dans toute la vieille ville —, le temps avait passé, certes, les heures avaient filé, mais l'adrénaline qui empoisonnait encore mes veines et les battements de mon cœur n'avait pas disparu. Elle distillait son poison, subtile dont je n'avais plus besoin, dont je ne savais plus que faire, et qui semblait ne plus jamais vouloir se retirer de mes pensées. Elle chassait le sommeil, empêchait le repos, mon cœur battait trop vite, trop fort, mes pensées ne s'adoucissaient pas, et rien ne me m'entraînait dans l'oubli du soir et dans la douceur du repos.

Alors nous sommes sortis. Lui voulait manger, moi je voulais boire. Je n'avais absolument pas faim, mais il y avait moyen de s'arranger. L'air entrait à peine dans ma gorge, et le sang battait dans mes tempes. J'avais besoin de m'enivrer. J'avais besoin que la brûlure de la vie revienne dans mes veines, que mes pensées soient dispersées autour de moi, qu'elles s'éparpillent dans le monde, qu'elles s'émiettent, se disloquent, se désintègrent, se perdent. 

J'avais juste besoin de cela, ne plus penser, ne plus entendre en moi cette voix continuelle, qui répétait les questions et les réponses, qui répondait autrement qu'elle ne l'avait fait, j'avais besoin de la faire taire.

Cela tombait parfaitement, l'ajustement dans le réel était parfait, personne n'aurait trouvé à y redire, il parlait tout le temps,  il me suffisait d'écouter et de boire en faisant semblant de l'écouter, et de ne boire que ses paroles, après tout c'est ce que demandent les hommes, que les femmes les regardent, qu'elles les écoutent, et qu'on ne fasse pas trop d'objections. C'est toujours le même jeu  un peu ridicule, dans lequel je me sens si seule. Écouter. Acquiescer. Relancer un peu la conversation. Une petite balle. Un léger rebond. Tout l'art de la conversation dans le léger rebond, mais rien de grave, rien de trop vif, surtout, il ne faudrait pas que Monsieur trébuche en tentant vainement de renvoyer la balle, on ne saisit pas l'occasion par les cheveux, on ne la tire pas par la chevelure pour déclencher une polémique, ou raconter les différents scénarii imaginés pour mettre fin à ses jours, non, on renvoie la balle, délicatement, et le minimum d'attention que cela demande permet de continuer à essayer d'oublier, seulement continuer à essayer d'oublier.

Essayer d'oublier est épuisant, et ce soir-là, sans alcool, je n'y serais pas parvenue. L'alcool remplace lentement dans mon sang la brûlure de l'adrénaline. C'est un poison contre un autre poison. Mon sang est un mélange total. Je ne sais pas combien de temps mon cœur battra. Mais ça m'est égal. 

Tard dans la nuit. Il pleut sur la pierre claire et froide. Mon sang est du poison. Je fume une cigarette, penchée sur le vide de la rue.

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