Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 7 octobre 2010

Carnets lointains, 9 (bis)


Parfois les jours sont incroyablement répétitifs. 

Je passe sur les détails : la structure, le lendemain, fut la même, reprendre le train (je passe sur les détails, les détails sont ailleurs, j'ai déjà tellement voyagé qu'il suffit de très peu pour que je sois étonnée dans un TGV ou un avion, le voyage ne m'occupe pas, je fais attention à tout, les adolescents en week-end le mercredi, qui filent à Paris pour la première fois et finissent immanquablement par me demander comment on fait pour aller de la Gare de Lyon à Daumesnil, on sent que leur liberté leur fait peur, le couple de vieillards dont les mains ne se quittent pas, la jeune mère épuisée qui dort en tenant son enfant dans les bras, un peintre de la Renaissance les aurait enveloppés de son regard dans une sanguine attendrie, les habitués, qui attendent que ça passe, qui oublient qu'ils sont en voyage, on sait qu'on est un habitué quand on reconnaît les contrôleurs, et on atteint le sommet de la hiérarchie secrète des habitués quand on est reconnu par les contrôleurs, il y en a un dont le poinçon pour les billets est une salamandre et non pas une étoile ou un cercle, quand il me croise, il contrôle mon billet parce qu'il sait que j'aime bien cette salamandre, je m'égare encore une fois dans les détails, un dernier, un seul,  je me souviens de deux amies qui voyageaient ensemble, à qui leurs amoureux avaient donné des plateaux de sushi en guise de pique-nique, sur le quai, entre effusions et dernières recommandations pour garder le chat, ce soir-là je me suis sentie si seule, et de toutes façons je n'avais pas faim, ça m'était bien égal), descendre enfin sur le quai à l'arrêt complet du train, sauf quand on saute avant, avec l'impression de gagner du temps, de passer une frontière et d'abandonner des compagnons de voyage dont on ne voulait pas, dont on se serait bien passé, là les fumeurs allument une cigarette, les arrivées en gare sentent bon le tabac, les cigarettes qu'on allume brillent comme des lucioles dans la nuit, et je remonte la foule lente, qui ramasse pesamment ses valises, reprend lourdement sa marche alors que je m'engouffre dans le métro.

Cela ne changeait pas grand chose.

Puis, je passe sur les détails intermédiaires, sur les épisodes qui ne concernent que moi, je me suis retrouvée de nouveau devant une commission, dans une salle immense, je suppose que la table en U devait rendre tout cela plus convivial, elle ne l'était guère, je ne sais pas pourquoi — je sais pourquoi tout cela fut facile, rapide, ma voix portait parfaitement, l'exécution allait de soi, je n'eus pas peur,  pas un instant, la fatigue, les blessures, les angoisses, tout cela, épuisé, usé jusqu'à la corde, n'avait plus aucune importance. J'avais l'impression de flotter dans le réel, de traverser le jour sans que rien ne puisse m'accrocher, me retenir, je glissais, je passais, n'importe où, rien n'avait d'emprise. Je ne laissais aucune accroche possible au réel. Tout relançait une course qui, le matin même, me paraissait impossible, j'arrivais au soir, épuisée, je fus sidérée d'arriver jusqu'au soir.

Mais est-ce cela le bonheur ?

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