Crépuscule bleuté. Il tourne dans l'air du soir. Le froid monte de la terre. Ou descend du ciel. La nuit sera glaciale, il est impossible de ne pas la sentir. Elle sera immense et glaciale. L'air qu'elle apporte, elle vient des sommets enneigés, s'infiltre par de minuscules interstices, et rien ne lui résiste. Le crépuscule, dans l'air du soir, se dépose sur toutes choses comme un voile presque transparent, un tissu infiniment léger dont les strates superposés peu à peu, les unes sur les autres, les unes après les autres, estompent toutes choses, et les contours se défont, une fumée monte verticalement dans l'air du soir, comme celle d'un feu d'herbes, très loin dans la campagne. Crépuscule bleuté, comme dans un tableau de Jérôme Bosch, dans un hiver très lointain, et le froid, qui resserre son emprise, met des larmes dans les yeux.
Crépuscule bleuté. Il recouvre toutes choses d'un fin voile de crêpe.
Les contours s'émoussent, tandis que les impressions se précisent, tandis qu'elles s'affinent, et s'intensifient. Le monde bascule lentement dans la nuit, entraînant à sa suite les possibles entr'aperçus qui, le matin encore, scintillaient au soleil. Au fur et à mesure que les objets disparaissent dans l'obscurité, la vivacité des sensations se décuple. Les silhouettes se détachent d'elles-mêmes, les ombres se fondent dans l'immensité de la nuit, et on se laisse tout entier prendre à l'entour par l'obscurité. Il reste des impressions, plus vives et précises que jamais. Les fenêtres se referment dans les rituels immémoriaux des soirs, ceux, du moins, qu'il est possible d'imaginer, sur les nuits profondes, celles dans lesquelles le vent du soir agite les cimes des arbres. Les lourds volets se referment dans les façades calmes, dont ils sont la ponctuation régulière, et les espaces intérieurs se mettent en paix avec la nuit immense, et se closent. La fumée qui montait, verticale, s'est diffusée de par l'espace et se mêle à la nuit toute entière.
Alors les pupilles brillent de leur éclat propre.
Les impressions s'aiguisent. Le jour qui tenait tout dans son activité, distraction, divertissement, le jour qui tenait les esprit recule et cède, et les divertissements eux aussi s'estompent et s'éloignent, pendant que le monde bascule dans l'oubli. Et l'esprit reste seul face à lui-même, lueur infime et vacillante de ce qu'il tente d'oublier, dans le froid qui gagne. Comme dans un tableau à la bougie.
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